Cher Noé, cher Jonas (11)

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Cher Noé, cher Jonas,

En relisant le texte biblique, je me suis aperçue que le confinement était le moment idéal pour établir une alliance, un pacte, un nouveau contrat, une décision. Dans la Bible, le contrat passé est avec Dieu. Noé, tu acceptes de faire redémarrer l’humanité avec moins de violence. Et pour toi Jonas, c’est un contrat qui dirait, Ok, j’accepte d’aller à Ninive pour leur dire que les bêtises, cela suffit ! J’aime bien cette idée de rapprocher confinement et Alliance. Nous sommes des Adam, il nous faut trouver du sens, il ne faut pas que cette période soit seulement en vue d’échapper à une catastrophe. On ne construit pas une vie humaine en échappant aux catastrophes, on la construit en les traversant. C’est d’ailleurs généralement comme cela que l’on fabrique du sens: en traversant ce que nous aurions rêvé d’ éviter.
Aujourd’hui, 15e jour de confinement, nous avons besoin de masques, de gel, d’un vaccin, de meilleurs films à la télévision gratuite et surtout, nous avons besoin de sens.
Nous avons besoin de cohérence et d’interprétations qui nous tirent vers le Haut, qui nous motivent, nous donnent de l’élan, nous fassent entrevoir que l’avenir sera meilleur que celui que nous avons laissé. Nous avons besoin d’une Alliance renouvellée et cela demande tellement de force et d’attention, qu’il a fallu enfermer la moitié de l’humanité pour la laisser émerger. Incroyable ! Personne n’aurait osé imaginer cela ! Mais en mettant autant d’humains au repos en même temps il ne peut sortir que du radicalement nouveau !

L’humanité a désormais la charge collective de faire émerger une direction, un axe, quelque chose qui empêche d’être à la merci de la première vague et nous permette de tirer profit de ce plan B que nous sommes tous en train d’expérimenter. Le fait que l’eau monte ne peut pas être la seule direction qui dirige nos vies en ce moment. Nous avons besoin de nous délier et de faire alliance. La peur, nous lie, l’angoisse nous laisse pieds et poings liés. L’alliance convoque notre liberté intérieure et nous délivre. De quelle Alliance avons-nous besoin pour que ce temps n’ait pas été vain ? Répondre à cette question, va nous demander un peu de temps.

Cher Noé, cher Jonas (10)

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Cher Noé, cher Jonas,

Un lundi au soleil…Le confinement a été prolongé ! La dessus nous voilà dans le même bateau que vous, sans avoir une date précise pour la fin de notre aventure. Ce flou rajoute quelque chose de singulier à ce que nous vivons. Cela nous met dans l’impossibilité d’anticiper, de s’appuyer sur une date limite, de pouvoir faire un compte à rebours, d’ouvrir notre agenda pour inscrire des événements rassurants. Non. Notre salut ne viendra pas de la maîtrise de notre agenda. Dans ces conditions, il n’est pas possible non plus de faire une crise de milieu de confinement, ce moment où le plus dur est toujours au milieu du séjour. Non, cela ne nous sera pas donné. Quand nous découvrirons la date de notre sortie, nous aurons passé la moitié de notre séjour dans notre arche personnelle. Tout est donc bien bouleversé dans cette crise. Pour tenir, nous devrions inventer une autre façon de compter le temps qui ne serait pas le décompte des jours ou des semaines, faites ou à faire. Il faudrait peut-être compter le temps en nombre de gâteaux au chocolat ou en vélos qui passent dans la rue. Comme les petits que nous sommes en train d’apprendre à redevenir. Pendant qu’on se stresse aux infos, eux, ils s’amusent et ils font confiance. La confiance est le vrai cadran du décompte. Dans le déluge ou sous l’eau, il est invraisemblable d’avoir de l’espoir. L’eau montait jour après jour et allait tout engloutir. Pourtant toi Noé et ta famille avez vécu confinés dans une arche construite par vous-mêmes. Vous n’êtes pas morts de peur. Vous avez cru que cela se terminerait. Et un jour, l’eau a commencé à descendre et l’arche s’est rapprochée du sol. Cela nous arrivera à nous aussi. Un jour, bientôt, l’eau commencera à descendre. La confiance c’est comme une arche. Cela se construit.
À très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (9)

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Dimanche 2. Comment allez-vous ? Comment on fait pour survivre à l’angoisse ? A la peur de mourir noyé ou étouffé ? A la peur de la mort des autres ou de ne plus les revoir? Vous connaissez ce long tunnel qui n’en finit pas ?
Ici, la nouveauté ne vient pas seulement du confinement. Il vient que la mort est devenue le sujet permanent de toutes les informations. Nous n’étions pas habitués. La mort avait totalement disparue ou s’était éloignée très loin, dans des pays en guerre justement. La mort était devenue la part invisible de nos vies ou très privée quand elle venait à concerner nos proches. Pour le reste, il n’y avait que des morts théoriques : le nombre d’SDF en hiver, le nombre d’accidentés de la route depuis le passage au 80km/h, le nombre de morts de la grippe, quelques décès de stars très médiatisés… Des morts qui n’étaient pas exactement ce que nous sommes. Depuis que nous sommes enfermés à la maison sans sortir, les morts ont envahi les hôpitaux et les médias. Un énorme décompte s’est mis en place qui rend compte des malades, des urgences, des décès. Nous assistons passifs à ces chiffres qui nous tombent dessus et nous font peur. Nous voyons des images et des soignants épuisés. C’est peut-être un peu le but d’avoir peur mais le choc est grand entre avant et aujourd’hui. Une peur qui n’est accompagnée que de peu de paroles et que de peu de sens. (Michel Serres, tu nous manques! ) La peur ne peut pas prendre l’espace laissé par nos vies car sinon le virus gagnera ce qu’il n’aura pas tué.
Oui, il s’agit de faire face et de rester vivant. Il s’agit d’être suffisamment en forme pour que le virus s’épuise à notre rencontre, pour que, lui, prenne peur s’il nous trouve sur son chemin. Il s’agit qu’il soit mort de trouille à notre place !
À très bientôt
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (8)

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Cher Noé, cher Jonas

Retour du Shabbat. Shabbat shalom ! Pour vous, deuxième shabbat de ce temps de confinement. Le terme de shabbat est d’ailleurs très à propos aujourd’hui. Shabbat, cela signifie s’arrêter, cesser, interrompre, stopper l’activité, la transformation du monde. C’est exactement ce que fait une énorme partie de l’humanité en ce moment. Nous menions nos vies à toute allure, nous nous agitions dans tous les sens, nous jetions nos vies par la fenêtre quand quelque chose de petit et d’invisible est devenu central dans nos vies. Quelque chose de petit et d’invisible nous a arrêtés. Nous avons laissé en plan tout ce qui était urgent, indispensable, incontournable, nos démarches pro-actives, nos budgets prévisionnels, nos réunions hebdomadaires mais aussi nos querelles, nos rancoeurs, nos jalousies, nos campagnes, nos réformes sur la retraite ou le système de santé, l’avant-première du dernier film, le week-end en 8, les business plan et la réservation pour les vacances de Pâques et nous sommes rentrés à la maison. Depuis nous regardons le monde par la fenêtre en observant avec curiosité quand un être humain passe devant. Ce qui était urgent ne l’est plus. Ce qui était impossible devient envisageable. Ce minuscule virus a réussi ce qu’aucune idée avant lui n’était parvenu à faire. Ce virus nous a remis à notre place. Oui, c’est cela. On s’est fait remettre à notre place ! Et par un virus en plus ! On fait les malins, on croit que le monde est à nous, on pille tout ce qu’on trouve, on est les rois du monde et du pétrole, on rigole du futur et des degrés en plus et, un matin, on se réveille avec interdiction de sortie. Pour quelques semaines. Avec le recul de l’histoire, ce temps sera peut-être considéré comme le moment de la prise de conscience. Ce moment historique où la vie est devenue plus importante que l’économie.
L’humain est plus que lui-même mais il a la capacité d’être mis à terre par un virus, ou un déluge ou par quelques marins qui décident que vous êtes de trop à bord d’un bateau…Il reste à expérimenter ce que c’est que d’être à sa place, bien vivant, dans un monde qui n’est pas parfait mais qui est sur-mesure pour nous. Quelques semaines pour prendre toute sa place, rien que sa place.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

P.S : Des nouvelles de Qohélet ?

Cher Noé, cher Jonas (7)

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Cher Noé, cher Jonas

J’espère que vous allez bien. Ici les jours se suivent avec des changements plus ou moins visibles. Vous pourrez dire à votre copain Qohélet que j’ai des doutes concernant sa phrase « Rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,9). Plus le temps passe, moins je suis d’accord avec elle. Tous les jours se ressemblent mais aucun n’est pareil. Il y a une vraie différence d’un jour à l’autre et cela tient notamment à la versatilité avec laquelle nous nous relions aux choses. Ce qui nous énervait hier nous fait plaisir aujourd’hui, ce qui nous comble aujourd’hui ne vaudra plus rien demain, tout à l’heure peut-être. Nous sommes ballottés d’une émotion à une autre, d’une envie à une autre et nous voguons d’espoir en désespoir, de détente en crispation. Voilà bien le signe que nous sommes vivants puisque tout ce qui vit change, seconde après seconde. Donc si nous prenons le temps d’explorer les centimètres carré de notre confinement, cette phrase n’est pas très pertinente à un niveau personnel. Mais je crois aussi que cette phrase ne veut absolument rien dire dans la période qui est la nôtre. Aujourd’hui tout bouge, tout change : l’ordre du monde, notre vie quotidienne, notre façon de voir la vie. Tout est neuf et inédit. Tout est possible.
Peut-être que la phrase de Qohélet n’est vraie qu’au soleil ? Alors peut-être oui…La nouveauté qui est la nôtre vient de la pluie et de la nuit dans laquelle nous nous trouvons. Tous les commencements se font de nuit. Il faut être dans l’obscurité la plus sombre pour arriver à percevoir une étoile, une étincelle, une façon différente de vivre sa vie, une possibilité de désobéir à ses peurs,… « Tous les grands commencements se font de nuit ». C’est le moment de ne pas se laisser endormir, c’est le moment d’ouvrir les yeux. Sans le vexer, peut-être que cette phrase aurait été meilleure que « rien de nouveau sous le soleil » ?
Je vous laisse décider de ce que vous transmettrez,
bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas

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Cher Noé, cher Jonas (6)

Il a plu toute la nuit. Dehors l’eau monte et continue de monter. Les médias eux-mêmes disent que la décrue n’est pas attendue avant…L’eau monte. Nous voilà engagés dans un drôle de voyage et certains sont sur le pont. Merci à eux. Je continue aujourd’hui à m’interroger sur ce qui nous sert d’abri, de mise en lieu sûr. Hier le confinement, aujourd’hui l’arche et le poisson.
Dans le texte biblique, le mot qui a été traduit par arche en français est le terme tévah . Tévah  signifie une boite, un coffre. C’est le même mot qui est employé pour décrire la caisse dans laquelle Moïse est mis pour échapper à la mort de tous les hébreux voulue par pharaon. C’est cette caisse qui sera posée au bord du Nil et qui sauvera Moïse de la noyade. L’une est en bois, l’autre en osier. L’une a la taille pour accueillir toute une ménagerie, l’autre a l’espace pour un bébé de trois mois. Mais c’est le même mot, ce qui signifie que c’est la même fonction, le même projet qui se poursuit. Aujourd’hui, dans les synagogues séfarades, la tévah désigne le pupitre sur lequel le rouleau de la Torah est posé pour la lecture. Tévah, c’est donc une boîte dans laquelle on met ce qu’on a de plus précieux pour le faire échapper à la mort, au naufrage, pour lui éviter de sombrer ou, tout simplement, pour le mettre en valeur c’est-à-dire pour l’écouter. Il faut une arche pour mettre en lumière ce à quoi on tient. Être confiné dans une tévah, c’est quand même un grand honneur, Noé !
Le lieu du confinement est plus simple. Il s’agit d’un poisson, dag en hébreu, un gros poisson. (Et pas une baleine, ça c’est Pinocchio. Faut-il aussi relire Pinocchio ? )
Effectivement une tévah peut se transformer en galère ! D’où l’importance de travailler sur le projet, le sens, le précieux que nous essayons de sauver personnellement et collectivement. L’eau monte. Il continue de pleuvoir. En face, nous avons la possibilité de nous parler, de nous écrire. Au fait, j’ai oublié de vous dire mais en hébreu tévah a aussi le sens de lettre, de mot. Quand on écrit en hébreu, on écrit avec des boites qui nous permettent de sauver ce à quoi on tient. Le langage entier, la parole est donc une arche dans laquelle il est possible d’habiter !
Voilà de quoi me motiver. Je vous dis à bientôt.
Prenez-soin de vous,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (5)

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Cher Noé, cher Jonas

J9. Repartons sur de bonnes bases et rien de mieux qu’un retour à la lettre, au langage pour poser la réalité. Cela fait plusieurs jours que je me demande quelle est l’étymologie de « confinement ». Aujourd’hui j’ouvre Le Petit Robert, le dico accessible si vous avez des questions d’étymologie. J’ouvre à la page de « confiner ». Le mot date de 1464 et viendrait de « confins » qui lui-même signifie limite, fin. Aller aux confins de la terre, c’est aller jusqu’au bout, jusqu’à la dernière limite. Les confins « parties d’un territoire situées à son extrémité ». Il faut avouer que le terme est extrêmement bien choisi. Le confinement ce n’est pas tant ce qui nous impose de rester dans des limites, c’est ce qui nous pousse à la limite ! Nous sommes donc invités à aller aux confins de notre patience et de notre créativité, aux confins des relations que nous avons avec nos proches, aux confins de nos peurs pour découvrir ce qui s’y trouve. Le confinement aide donc la personne à aller au bout d’elle-même.
Ma curiosité étant sans limite, je regarde le terme qui est sous « confins ». Il s’agit de « confire ». Rien à voir au niveau étymologie mais la proximité a des choses à dire.  Confire : « Conserver (des aliments putrescibles) par des produits appropriés (miel, vinaigre, sel, sucre, graisse,..). » Si je comprends bien ce qu’il s’agit de conserver ce sont nos vies, fragiles, inscrites dans le temps, appelées à vieillir. Toute la question, en ces temps de confinement, c’est dans quoi allons nous les conserver. Je pense qu’il faut éviter la graisse… la douceur du sucre, cela doit faciliter la cohabitation. Le miel aussi et en plus très biblique…Le vinaigre, cela se discute. Il ne faut pas qu’il devienne trop rance ou aigre. On ne va pas sortir de ce temps de retrait en étant aigri. Le sel ? Oui, le sel est une bonne idée car si le sel s’affadit, on n’arrive plus à grand-chose. Cher Noé, cher Jonas : qu’avez-vous choisi ? Peut-être qu’une vie se mesure à l’aliment par lequel on la conserve ?
Avant de refermer mon dictionnaire et pour être tout à fait complète. Sous les termes de « confins », puis de « confire », il y a … »confirmand » .
Demain j’irai voir ce qui se cache derrière l’arche et le poisson,
portez-vous bien !
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (4)

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Cher Noé, cher Jonas,

J7. Aujourd’hui cela fait une semaine. Le temps qu’il faut pour expérimenter chacun des jours de la semaine. Une révolution. A partir de demain, nous commencerons à approfondir notre mise à l’écart. Et c’est vrai que nous avons commencé à apprendre pas mal de choses que nous avions un peu oubliées mais que nous avions apprises étant enfant. On a appris à bien se laver les mains, à mettre des masques sur nos visages, à sortir en ayant une permission, à regarder le monde par la fenêtre, à rêver de ce que nous aimerions faire plus tard, à faire la liste de ce qui nous manque. Voir notre famille, se promener à la plage, faire du vélo ou être en forme demain sont passés en quelques jours en tête de la liste de nos désirs. Ce que nous souhaitons commence à se simplifier. Nous vivons un temps où nous nous remettons à nous ennuyer, rêver, jouer, avoir peur du lendemain, faire attention aux visages des autres. Collectivement, enfermés dedans, nous expérimentons une posture réservée aux enfants et parfois c’est plutôt sympa…Et puis l’instant d’après. Révolte. Rien ne va plus. La situation est insupportable, nous étouffons, nous sommes en colère, nous n’allons pas y arriver. Pas si simple de demander à des adultes de retourner en enfance, de demander des autorisations de sortie du territoire, de voir la vie se dérouler sous leurs yeux sans participer. C’était quand la dernière fois que l’on nous a demandé de rester chez nous et de ne rien faire ?
Aujourd’hui lundi, c’est la fin d’un monde. Demain, mardi, c’est le début d’un nouveau. Cher Noé, cher Jonas, vous êtes bien placés pour savoir que recommencer ou commencer à neuf n’est pas simple. Recréer le monde après le déluge ou aller parler à Ninive après être sorti du poisson, cela requiert quelque chose de profondément enfoui chez la personne. Cela demande d’être un peu pressuré ! Les informations angoissantes venues de l’extérieur n’aident pas. Croyez-moi, estimez vous heureux de ne pas avoir eu la télé !
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (3)

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Cher Noé, cher Jonas,

J6, c’est dimanche. Il serait plus prudent de préciser dimanche 1. De mon côté, les jours de repos sont un peu plus compliqués, comme si on rajoutait du vide au vide. On sait bien que la discipline est la clef de tous les progrès. Si on veut apprendre à jouer d’un instrument, à pratiquer un sport, à écrire, il vaut mieux le faire avec discipline, continuité, en revenant encore et encore au geste, à la technique, au moment favorable. En s’aidant de l’habitude. La spiritualité n’échappe pas à la règle. Il me semble que même si on choisit de ne rien faire, il vaut mieux pratiquer avec discipline. Alors, seulement à cette condition, cela devient un vrai chemin.
Hier j’ai beaucoup réfléchi à la notion de cachette. C’est curieux mais dans le confinement, il n’y a plus de cachettes possibles. Bien-sûr le confinement peut lui-même être perçu comme une cachette, on rentre chez soi et on disparaît à la vue des autres. Mais une fois dedans, il n’y a pas de cachette. Je crois me souvenir qu’Emmanuel Levinas disait quelque chose de similaire concernant la souffrance. « Dans la souffrance, il n’y a pas de refuge. » (Impossible de me souvenir d’où je tiens cette phrase!) Dans le confinement, il n’est plus possible de faire semblant, de jouer à être quelqu’un ou quelque chose. Tous les travers éclatent au grand jour, les petits détails prennent des proportions énormes, les défauts deviennent encore plus voyants, l’ego un colocataire très encombrant. Celui des autres aussi. Le confinement est une mise en lumière incroyable de ce que nous sommes. Je comprends la rapidité avec laquelle, Jonas, tu es arrivé à y voir clair sur ce qui se passait chez toi, pour toi. Quelques heures dans un poisson et impossible de faire le malin très longtemps. « Les personnes qui rendent un culte aux faux dieux perdent toute chance de salut. » (Jn 2,9) Je ne suis même pas sûre qu’il soit ici question de Dieu mais par contre je suis certaine que tu parles de toi et de ce que tu découvres de tes illusions. Peut-être est-ce cela devenir réel ? Comme le ventre d’un poisson, le confinement est une caisse noire. La moindre idée négative, le moindre défaut devient un monstre qui se retrouve en face de soi et qui barre la route. Et comme il n’y a pas de cachette on se retrouve face-à-face. Il faut dire que l’habitude d’éviter les problèmes en partant se cacher vient de loin.
Dans la Bible, le premier à se mettre à l’abri du regard, c’est Adam. Encore lui ! Se cacher dans les arbres, c’est une mauvaise cachette. Surtout l’hiver. Dieu n’a pas eu à chercher longtemps. Quand il a dit : « où es-tu ? », Adam a répondu. Quand on répond, on grille sa cachette. Adam ne le savait peut-être pas ou alors il était naïf. Le jeu s’est arrêté là. J’en tire la conclusion que répondre, c’est sortir de sa cachette et c’est plutôt intéressant à savoir. On peut répondre de soi et c’est le début de la responsabilité, ce qui est peut-être la meilleure arme que nous ayons contre les monstres y compris marins !
Je vous embrasse,
Adiussiatz
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (2)

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Cher Noé, cher Jonas

5e jour de confinement. Je sais, c’est shabbat, vous lirez sûrement ce message ce soir, à la tombée de la nuit. La journée d’hier s’est bien passée. Il est quand même tout à fait étonnant de voir comment notre pensée va de bulle en bulle. On se concentre sur quelque chose, un livre, un truc à peindre, une étagère à ranger, un plat à cuisiner et tout d’un coup, plus de confinement. Pendant quelques minutes, tout notre esprit est centré sur l’activité, notre vie est normale, le contexte dans lequel nous sommes n’existe plus. Il n’y a plus de peur, plus de grandes idées à avoir sur la situation, plus à anticiper l’avenir. Nous sommes juste présents, pleinement là. Et puis, à un moment on finit, la bulle éclate et on se retrouve confiné !
J’ai repensé dans la journée à la liberté dont je vous ai parlé hier. En fait, ce qui est étonnant, c’est de découvrir tant de liberté dans un si petit espace. A la fois, tant de choses possibles à faire entre quatre murs mais aussi tant de liberté à découvrir en soi. Est-ce que ce ne serait pas cela la définition d’un être humain ? Une liberté immense dans un si petit espace ? Il faut dire que ça, c’est un vrai sujet biblique. Vos collègues n’arrêtent pas sur la question. C’est peut-être même la question de ce livre : qu’est-ce que l’être humain ? Adam, en hébreu. Adam tiré de adamah, la terre. Adam est un terreux. En français aussi, l’humain c’est de l’humus. Bizarre que pour que Adam recommence quelque chose, il faut l’envoyer dans un milieu qui n’est pas le sien, l’eau, protégé par quelques parois appelés arche ou poisson. Et Adam, le terreux se met à flotter. Il flotte et quand il sort, il commence une autre vie. Ok. J’ai compris ! Si le confinement est une matrice, cela va sûrement prendre plus de temps que prévu. Précisons quand même qu’ Adam c’est l’être humain, avant la distinction homme-femme. Adam, c’est donc chacun d’entre nous. En hébreu, quand on prend les lettres d’Adam et qu’on les mélange, cela donne Méod, qui veut dire beaucoup, très, plus. L’être humain est plus que lui-même, il faut qu’il se le mette dans la tête. Il est au-delà de l’image étriquée qu’il a ou qu’il donne de lui. Certains commentateurs disent que c’est l’explication au verset de Genèse qui raconte que « Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance ». L’image, tout être humain la possède. Quel que soit son âge, ses actions, son état de santé, la série qu’il regarde. Quoiqu’on fasse, personne ne peut nous l’enlever. La ressemblance…c’est en option. Cela ne se fait pas sans nous, sans notre participation, notre choix, notre envie d’y aller. Voilà au moins, un endroit où il est possible d’aller…
J’arrête là pour aujourd’hui.
See you
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas

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Je me permets de vous écrire pour vous demander quelques conseils. Voilà maintenant 4 jours que nous sommes confinés et pour tout vous dire, c’est une vraie surprise. Aucun être humain n’est préparé à être confiné. Ni à être enfermé, interné, séquestré, hospitalisé, emprisonné…Une personne n’est pas créée pour rester entre quatre murs et les jours qui nous attendent s’annoncent un peu compliqués pour nous tous. J’ai donc pensé à vous (Je ne connais pas personnellement Thomas Pesquet). Je n’ai pas trouvé d’autres personnages bibliques aussi compétents que vous, mais je vais continuer à chercher. Bien entendu, je suis consciente que vos situations n’ont rien à voir. Entre plusieurs semaines dans une arche et trois jours dans le ventre d’une baleine… Tout compte fait, je préfère être confinée chez moi. Mais attention, je n’ai pas dit que c’était facile. Je regarde mes livres, j’ai du travail à faire et pourtant il me manque l’envie. J’ai une to do list longue comme le bras, jusqu’à nouvel ordre j’ai rangé mon agenda, je ne recharge plus les lampes du vélo avec lequel je vais à la gare chaque matin, (quand nous ressortirons il fera jour matin et soir et je devrais ranger la lampe dans les affaires d’hiver), les conférences à préparer sont reportées à l’année prochaine. J’ai donc de la marge. Et c’est là tout le paradoxe : je ne sais pas quoi entreprendre ! Je tourne, commence à réfléchir à quelque chose, je m’arrête, je fais autre chose. Je tourne comme un poisson dans un bocal…enfin euh pardon…comme un oiseau en cage. Voilà donc quelque chose d’étrange. Mon emploi du temps a été libéré et j’ai confiné ma créativité. Auriez-vous une explication ? Trop de temps libre tue le temps libre, c’est cela ? C’est quand même une étrange situation d’avoir autant de temps libre dans un si petit espace. En fait, c’est l’inverse de d’habitude où il nous est possible d’aller partout et où nous courons d’un endroit à l’autre sans bien savoir où nous sommes. Aujourd’hui tout cela s’est inversé. Nous savons dans quel lieu nous sommes et nous cherchons ce que nous pourrions bien faire de notre temps. Peut-être que pour la première fois depuis bien longtemps, nous sommes revenus à l’endroit, d’aplomb, apte à vivre. Si c’est cela, nous allons réapprendre à être réels. Bon… les débuts sont un peu compliqués. Je vais creuser cette affaire, j’aurais l’occasion de vous en reparler. J’ai bien-sûr beaucoup d’autres sujets de discussion sur lesquels j’aimerais avoir votre avis.
Pour info et après réflexion, j’ai décidé de continuer le Carême. La question s’est quand même posée parce que être confiné et ne plus manger de chocolat, c’est un peu la double peine. Quel paradoxe ! Après avoir tant cherché à savoir de quoi j’allais me priver, finalement j’ai été privée de sortir. Mais après réflexion, il ne faut pas tout mélanger. L’un est une obligation qui me tombe dessus, l’autre est une décision de ma part. Et comme dit Martin Buber. « Le monde a été crée en vue du choix de celui qui décide. » (Judaïsme, p.67) Notez qu’il y a quand même un point commun. Le confinement, c’est le fait de ne pas trop s’éloigner et le Carême est une occasion de rentrer chez soi, de revenir au plus près de sa vie. C’est réussi…
J’arrête là pour aujourd’hui. On reste en contact.
See you.
Marie-Laure