Cher Noé, cher Jonas (12)

Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Les jours se suivent avec leurs lots de haut et de bas, de moments d’espoir et d’anxiété. Ce yo-yo est décuplé par le fait que nous sommes encouragés à rester dedans et à …ne rien faire. Or, nous avons grandi dans l’idée de transformer le monde, d’y mettre toute notre énergie, toute notre volonté. Pour cela, nous avons progressivement laissé de côté toutes les personnes qui ne tenaient pas notre rythme effréné, les plus âgés, les plus fragiles, les plus rêveurs, les moins sérieux. Nous les avons laissés sur le bas côté de la route et avons poursuivi notre chemin vers la gloire et la puissance. Nous nous sommes sélectionnés en fonction de cette marche en avant. Faire, refaire, défaire, refaire, embaucher, licencier, acheter, vendre,… Et subitement, du jour au lendemain, nous voici dans le non-agir. Le non-agir. Bien-sûr, il est toujours possible de faire un peu de télétravail ou d’aider les enfants à faire leurs devoirs, cuisiner de vrais repas et parler au téléphone. Le non-agir est plus discret, plus souterrain, plus invisible. Il consiste à participer à notre vie sans pouvoir la contrôler, à se servir des forces en présence sans pouvoir rajouter notre puissance personnelle, à accompagner ce qui discrètement grandit ou meurt, à accueillir ce qui se présente sans avoir d’emprise. Le non-agir est la curiosité qui a débarqué dans nos vies ces dernières semaines. Cela est déboussolant car cela nous oblige à réviser nos habitudes, nos marques de réussite. Ce que nous valorisions hier ne sert plus à rien et la patience, l’attention, le lâcher prise sont rentrés dans le top 3 des choses essentielles à notre nouvelle vie. Il n’est plus question d’aller vite et de passer en force. Plus question de doubler les autres…il n’y a plus personne à doubler. Voilà, voilà, notre estime de nous-mêmes est donc en chute libre ! A quoi se comparer sans point de comparaison ?

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