Cher Noé, cher Jonas (39)

Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que tout va bien pour vous. On n’est pas sorti de l’auberge…euh de l’arche ! Les prévisions sont aléatoires. Mais quand nous sortirons, nous le ferons dans un monde imparfait, plein de risques, plein de vie. C’est un des grands changements devant nous. Ces dernières semaines, nous nous étions habitués à un monde à taille réduite, limité, régi par des autorisations, des couvre-feux et des périmètres, des raisons valables pour sortir. Les choses étaient claires et l’on pouvait cocher la bonne réponse. Au top, vous avez une heure ! L’Arche n’est pas un monde sûr mais c’est un monde géré par des limites strictes, des lois explicites et millimétrées et une règle du jeu connue. Dans quelques semaines nous reviendrons dans un monde incertain où le virus continue à circuler mais dans lequel la règle du jeu a changé. Nous pensions être dans une Arche mais en anticipant la sortie nous nous rendons compte que nous étions dans un aquarium et qu’il s’agit de revenir de plain pied dans une imperfection que nous avions mise sous cloche. Mais comment rentrer dans un monde imparfait, comment faire pour gérer mille questions, personnelles et professionnelles, sur les pratiques et les postures, le possible et l’impossible, le dangereux et l’inoffensif ? Le comment de la vie nous saute maintenant aux yeux et notre responsabilité est en train de devenir un poids. Ce poids est de plus en plus individuel, là où l’Arche nous protégeait tous des prises de décisions personnelles et de la concurrence. La règle commune y régnait pour favoriser un monde commun. Demain il s’agira de s’habituer à une autre vision du monde, faire des choix individuels, prendre des risques en le sachant ou non, pour soi ou pour d’autres, oser, se poser des questions permanentes. Demain et dehors, le monde ne sera plus lisible avec les clés que nous connaissons. L’imperfection de ce monde nous saute aux yeux et nous renvoie à la nôtre. Nous allons ainsi passer d’un jardin à la française pour rentrer dans un jardin à l’anglaise où tout sera, de nouveau, à comprendre et à cultiver. Pourtant l’imperfection était déjà là avant, notre questionnement et notre liberté aussi. Peut-être nous étions nous habitués ? Cette sortie sera un réveil, l’occasion de se voir et de voir le monde d’un œil nouveau.
Je vous embrasse
Marie-Laure

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