Cher Noé, cher Jonas (42)

Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous ne vous ennuyez pas trop avec tous ces courriers. Aujourd’hui, J 46, c’est la fête du travail, première fête laïque depuis le début de notre confinement. En vous écrivant ces quelques mots, je ne sais d’ailleurs plus trop s’il s’agit de la fête du travail ou celle des travailleurs/euses…Je préférerais que ce soit cette deuxième possibilité même si ce n’est pas vraiment le moment de fêter les travailleurs/euses quand la moitié est épuisée et râle de prendre des risques ou de passer des journées sans fin devant zoom et l’autre moitié est bloquée à ne rien faire pour cause de confinement ou de chômage. Mais comme nous avons fêté la sortie d’Egypte et celle du tombeau en étant confinés, nous pouvons bien faire un petit effort pour fêter le travail en étant épuisés et/ou au repos forcé ! Quand nous sortirons équipés de l’Arche, le travail aura-t-il le même sens ? A quoi cela sert-il de transformer un monde qui régulièrement peut finir sous les eaux ? Oui, ce virus est bien un agitateur de sens, un empêcheur de tourner en rond. Il fait émerger des questions sur nos vies et sur ce que nous en faisons. Le travail fait partie de nos vies qu’il soit payé ou qu’il ne le soit pas, qu’il soit reconnu ou invisible, qu’il soit efficace ou inutile. Nous passons nos journées à transformer le monde, à le construire, à lutter contre le chaos et le désordre. Nous travaillons à cuisiner de bons petits plats, à nous maquiller, à nous peigner, à ranger la maison, à repasser et aussi à couper les cheveux, faire pousser des fleurs, guérir, faire des digues pour retenir la mer et construire des objets à dates de péremption. Tous nos travaux sont éphémères. Ce que nous construisons ou créons durera quelques minutes, quelques jours, semaines, peut-être plusieurs années. Nous transformons un monde éphémère de façon éphémère en étant nous-mêmes éphémères. Aujourd’hui nous ne fêtons pas ce que nous produisons ou créons. Nous fêtons le fait de travailler pour rien et de trouver cela beau, utile, enrichissant alors que nous savons pertinemment que même sans déluge tout cela va disparaître. La fête du travail est donc bien la fête de la personne qui travaille à se créer tout en modifiant le monde qui l’entoure. Aujourd’hui c’est notre fête parce que nous arrivons à vivre heureux dans un monde éphémère. Rien que pour cette raison, il sera possible de sortir de l’Arche avec enthousiasme.
Vive le 1er mai, Bises
Marie-Laure

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