Cher Noé, cher Jonas (44)

Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Aujourd’hui c’est dimanche. Peut-être l’avant-dernier passé en confinement. Pour fêter cela, je suis allée faire un tour de pédalo dans la limite autorisée. Tout était calme et vide. Que restera-t-il de cette vie de village que nous avons vécue pendant plusieurs semaines, ce troc où l’on s’échange des masques faits maison contre des courses faites, où l’on se dit bonjour quand on se croise parce qu’on a peur de donner l’impression que l’on a peur, où les personnes marchent, travaillent, achètent et vendent en pleine conscience parce que le virus est invisible ? Une vie où on ne prend pas forcément la voiture pour se balader, une existence où il est possible de passer du temps avec nos très proches, comme si nous avions la vie devant nous. Que restera-t-il de ce monde où nous sommes devenus un peu plus responsables de nos faits et gestes alors même que la loi nous retirait de la liberté et du pouvoir ? Nous aurons appris sur nous-mêmes et sur la relation, sur l’étendue de nos limites et sur les ressources insoupçonnées que nous avons découvertes en nous et chez les autres. Nous avons appris que nous détestions le mensonge fait pour notre bien, que nous préférions être lucides et conscients pour pouvoir décider par nous-mêmes et que nous savons être solidaires et consciencieux. Nous avons appris combien il était difficile de vivre avec des injonctions contradictoires comme de rester dedans et de voter dehors, de ne pas sortir et de faire du sport, de soigner et de ne pas tomber malade. Quelqu’un devrait penser à valider toutes les compétences que nous avons acquises jour après jour, sans avoir vu aucun tuto.
Que garderons-nous de tout cela quand la vie (un jour !) reprendra comme si les virus, les maladies et le dérèglement climatique n’existaient pas ? Les expériences donnent d’autant plus de fruits que l’on met des mots pour les relire, les comprendre, les faire siens. Il restera donc ce que nous déciderons de garder, de reconnaître et de faire nôtre pour en prendre soin parce que nous en avons compris les enjeux et la portée. Tout le reste partira dans les souvenirs stériles ou l’oubli. Ce que l’on veut garder pour demain, c’est maintenant qu’il nous faut le décider.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

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