Cher Noé, cher Jonas (46)

Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Ici les préparatifs continuent…Avec la fatigue et le stress de la sortie, les caractères se révèlent tous les jours un peu plus. Les préparatifs ressemblent à un énorme jeu de carte où il s’agirait de se passer le mistigri de la responsabilité. Les tensions montent. Les crispations, les frustrations et les déceptions également. Personne ne souhaite être tenu pour responsable des glissements et des noyades toujours possibles. L’anticipation nous laisse tout le temps d’envisager le pire non plus directement concernant le virus mais au sujet des dispositifs et de l’organisation pour y faire face. L’ambiance n’est pas à la rigolade. Qui aurait cru cela alors que dans quelques jours nous sortirons enfin de l’Arche ?
Tout cela me fait penser à cette phrase de Paul Valéry. « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». Cette phrase est intrigante. Elle ne dit pas que le vent est une bonne chose, que tout va bien, que les affaires reprennent ou que la chance a tourné. Elle ne dit pas non plus que la vie sera aisée et évidente. Non, ce n’est pas cela. Elle ne dit pas non plus qu’il s’agit d’un drame, d’un problème auquel il faudrait opposer notre volonté de vivre. Pour moi, la phrase annonce que quelque chose de nouveau est en train de traverser nos vies. Nous avons vécu une immobilité et un non-agir qui nous a demandé une adaptation compliquée et chaotique mais intérieure. Si vent il y avait il était essentiellement personnel, souterrain, intime. Aujourd’hui, le vent se lève entre nous, autour de nous, à travers nous. Une énergie est en train de nous traverser qui s’appelle du stress, de l’envie, du désir de bien faire et de comprendre, d’une volonté d’y aller, de reprendre les affaires ou des efforts pour ne pas sortir. Nous nous sommes déshabitués à ce souffle. Il faut tenter de vivre donc, d’en faire quelque chose, de s’accrocher, de faire progresser les dossiers en tenant le cap que nous nous sommes fixés, de se servir de cette force pour avancer. Il faut tenter…Paul Valéry n’est pas dupe. Il est toujours possible de se cacher en sortant de l’Arche ou en y restant. Il n’est pas simple de naviguer avec un vent qui s’intensifie. Il faut tenter de vivre en restant présent à ce qui nous arrive et en inventant jour après jour d’autres façons de faire avancer notre existence. Il faut tenter de mener à bien la personne que nous sommes et avec les autres, de reconstruire le monde. Même sous grand vent. Le vent se lève, il secoue l’Arche, fait des vagues plus grosses, il faut tenter de vivre.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

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