Cher Noé, cher Jonas (49)

Cher Noé, cher Jonas,

Bonjour à vous deux. J – 3. Nous y sommes presque. Etrange sentiment de fin de colonie. C’est le moment des bilans. J’ai entendu dire que certains avaient peur d’être passés à côté de leur confinement et de n’avoir pas réussi à opérer une révolution intérieure comme lire tout Proust, faire de l’anglais chaque jour, arrêter de fumer ou se mettre au yoga. L’être humain adore se poser des problèmes pour se culpabiliser. Je crois que le concept de « passer à côté de son confinement » n’a pas de sens. Si on a accepté d’être confiné et qu’on l’a été alors on a tout simplement réussi ce qu’il y avait à faire. On peut donc sortir heureux de commencer la phase suivante de son existence en se disant qu’on a survécu à la précédente. Se mesurer en permanence à un moi imaginaire meilleur et idéal ne sert qu’à nous enfoncer et à nous rendre triste.
A ce sujet, j’ai déjà fait dans une lettre précédente la liste de ce que j’aimerais (non de ce j’aurais aimé faire dans ce confinement) si je n’avais pas fait d’autres choses plus intéressantes! Le garage n’est toujours pas rangé (demain peut-être?) mais j’ai mis aujourd’hui un point d’honneur à m’attaquer au rangement de ma bibliothèque. A force de prendre des livres et de les reposer n’importe où je ne retrouve plus rien. Quand nous étions petits, il y avait ce jeu où on demandait à l’autre ce qu’il prendrait comme livre s’il partait sur une île déserte. D’une certaine manière, ce jeu est devenu réalité avec le confinement. Qu’avons-nous pu lire pendant cette période ? Avons-nous lu vraiment ? Lire dans une Arche et peut-être sur une île ne sont pas des endroits idéaux. Durant cette période, j’ai plusieurs fois pensé aux lectures que l’on fait (ou plutôt que l’on ne fait pas) dans les salles d’attente avant un RDV important. Pour ma part, je n’ai jamais pu lire dans une telle occasion. Je fais semblant, le stress est trop fort. Je me rassure en prenant un livre et je rentre sans l’avoir lu. L’Arche a été un lieu curieux où tout ne pouvait pas être lu. On lit peut-être comme on vit… En tout cas, on lit avec ce que l’on est au présent et tous les livres n’ont pas la force de vous donner un peu de répit dans des moments compliqués. Voilà ! Le rangement de la bibliothèque n’est pas fini, il pose des problèmes insolubles, des auteurs dont je sens bien qu’ils adoreraient être avec d’autres mais sans être dans le même domaine, d’autres qui ne se supporteraient pas mais qui jouent dans la même discipline. Non, un classement alphabétique est hors de question ! Il me reste deux jours pour résoudre ces difficultés.
Shabbat shalom, à demain,
Marie-Laure

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