Cher Noé, cher Jonas (51)

Cher Noé, cher Jonas,

Nous y sommes. J-1. Cher Noé, cher Jonas, cette lettre sera donc ma dernière. Vous écrire a été un vrai soutien en même temps que le défi quotidien de la fin de journée. Mettre des mots sur son état intérieur n’est pas quelque chose de simple. Le renouveler chaque jour sans rien tenir que son vécu personnel a été un exercice d’équilibriste. Le geste est souvent d’autant plus difficile qu’il est nécessaire. Les lettres écrites en fin de soirée ramassaient ce qui restaient sur le tamis d’une journée chargée souvent en émotions fortes. Aucune journée n’a ressemblé à une autre comme je pense, aucun confinement n’a été similaire à un autre. Certains devaient sortir sur le pont régulièrement pour assurer la survie du groupe, d’autres étaient dans une Arche trop exiguë pour contenir tout le monde. Chacun, pourtant, a vécu de l’intérieur et pour lui-même cette tranche de vie collective. Nos destins se seront croisés là, en étant ensemble, les contemporains d’un moment historique. Demain, cette histoire continue et nous sortons pour continuer à l’écrire, pour qu’elle ressemble au plus près aux espoirs que nous portons.
Dans tout ce chaos et cette nouveauté qui nous tombaient dessus, votre expérience à tous les deux a été précieuse. Sans vous froisser, je dois vous avouer que je n’ai jamais cru ni à vos existences, ni à vos expériences. Pourtant, les deux sont pour moi tout à fait réelles. Elles sont vraies sans être historiques et la preuve est qu’elles nous ont aidé à penser notre quotidien pendant plusieurs semaines. Je n’ai donc aucune peine à vous remercier tous les deux chaleureusement, comme je remercie, sans les connaître, les auteurs audacieux de ces textes bibliques qui demeurent modernes, d’âge en âge. Penser la nouveauté de l’événement demande des bagages et des références qui viennent du passé. A nous de savoir les lire pour qu’ils éclairent ce qui fait notre présent.
Demain, nous sortirons de l’Arche, un peu engourdis et suspicieux. Il faudra un jour que cette peur s’arrête tant elle risque de nous gâcher le plaisir de nous revoir et de reprendre pieds dans nos vies. Demain nous appartient. Malgré les requins, les masques et les gestes barrières ou protecteurs, il s’agira de vivre. Le vent souffle suffisamment fort pour faire quelque chose d’intéressant de ce qui nous attend. Pour Noé, il s’agissait de stopper la violence et pour toi, Jonas, d’empêcher l’humanité d’aller droit dans le mur. Avec quelle grande idée sortirons nous de l’Arche ? De quoi ou de qui déciderons-nous de prendre soin? Il appartient à chacun d’entendre et de répondre à l’appel.
Merci à chacun d’avoir été présent, n’oubliez pas d’être un arbre,
bonne route,
Marie-Laure

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