Cher Noé, cher Jonas (3)

Mis en avant

Cher Noé, cher Jonas,

J6, c’est dimanche. Il serait plus prudent de préciser dimanche 1. De mon côté, les jours de repos sont un peu plus compliqués, comme si on rajoutait du vide au vide. On sait bien que la discipline est la clef de tous les progrès. Si on veut apprendre à jouer d’un instrument, à pratiquer un sport, à écrire, il vaut mieux le faire avec discipline, continuité, en revenant encore et encore au geste, à la technique, au moment favorable. En s’aidant de l’habitude. La spiritualité n’échappe pas à la règle. Il me semble que même si on choisit de ne rien faire, il vaut mieux pratiquer avec discipline. Alors, seulement à cette condition, cela devient un vrai chemin.
Hier j’ai beaucoup réfléchi à la notion de cachette. C’est curieux mais dans le confinement, il n’y a plus de cachettes possibles. Bien-sûr le confinement peut lui-même être perçu comme une cachette, on rentre chez soi et on disparaît à la vue des autres. Mais une fois dedans, il n’y a pas de cachette. Je crois me souvenir qu’Emmanuel Levinas disait quelque chose de similaire concernant la souffrance. « Dans la souffrance, il n’y a pas de refuge. » (Impossible de me souvenir d’où je tiens cette phrase!) Dans le confinement, il n’est plus possible de faire semblant, de jouer à être quelqu’un ou quelque chose. Tous les travers éclatent au grand jour, les petits détails prennent des proportions énormes, les défauts deviennent encore plus voyants, l’ego un colocataire très encombrant. Celui des autres aussi. Le confinement est une mise en lumière incroyable de ce que nous sommes. Je comprends la rapidité avec laquelle, Jonas, tu es arrivé à y voir clair sur ce qui se passait chez toi, pour toi. Quelques heures dans un poisson et impossible de faire le malin très longtemps. « Les personnes qui rendent un culte aux faux dieux perdent toute chance de salut. » (Jn 2,9) Je ne suis même pas sûre qu’il soit ici question de Dieu mais par contre je suis certaine que tu parles de toi et de ce que tu découvres de tes illusions. Peut-être est-ce cela devenir réel ? Comme le ventre d’un poisson, le confinement est une caisse noire. La moindre idée négative, le moindre défaut devient un monstre qui se retrouve en face de soi et qui barre la route. Et comme il n’y a pas de cachette on se retrouve face-à-face. Il faut dire que l’habitude d’éviter les problèmes en partant se cacher vient de loin.
Dans la Bible, le premier à se mettre à l’abri du regard, c’est Adam. Encore lui ! Se cacher dans les arbres, c’est une mauvaise cachette. Surtout l’hiver. Dieu n’a pas eu à chercher longtemps. Quand il a dit : « où es-tu ? », Adam a répondu. Quand on répond, on grille sa cachette. Adam ne le savait peut-être pas ou alors il était naïf. Le jeu s’est arrêté là. J’en tire la conclusion que répondre, c’est sortir de sa cachette et c’est plutôt intéressant à savoir. On peut répondre de soi et c’est le début de la responsabilité, ce qui est peut-être la meilleure arme que nous ayons contre les monstres y compris marins !
Je vous embrasse,
Adiussiatz
Marie-Laure