Droit de réponse à Mgr Bonny sur les événements en Israël et en Palestine

Droit de réponse à Mgr BONNY
Par Marie-Laure Durand

Réaction à un texte de Mgr Bonny, publié sur Kerknet). Les propos entre parenthèses sont de lui. Le texte qui suit après chacun des paragraphes est de moi. Ce n’est pas dans mes habitudes de faire ce genre de publication. Mais « quand il n’y a pas d’homme, fais en sorte d’en être un » (proverbe juif). Je considère que le conseil vaut aussi pour les femmes……

« Je pense rarement, voire jamais, au pape Pie XII (1876-1958). Sauf ces derniers jours et semaines, depuis les violences du Hamas du 7 octobre et les bombardements à Gaza. À partir des années 1960, le pape Pie XII serait resté neutre trop longtemps. Il n’aurait pas réagi assez durement contre la puissante Allemagne. Cela lui a valu le surnom de « pape nazi » dans certains milieux. »

Le texte commence ainsi. L’idée de faire référence à Pie XII pour les propos qui vont suivre est étonnant, déplacé. Le pape à qui on a reproché de ne pas s’être mobilisé pour sauver des Juifs est ici convoqué pour dire les propos ambigus à leur égard. C’est au minimum une maladresse.

« Où commence et où finit le silence coupable ?
Du passé au présent, il n’y a qu’un petit pas. Dans le journal de ce matin, j’ai lu que quatre mille enfants sont déjà morts à Gaza, soit environ quatre cents chaque jour. « Gaza est devenue un cimetière pour les enfants« , a déclaré le porte-parole de l’UNICEF, James Elder . « Et pour tout le monde, c’est un enfer. »
L’Occident réagit dans la confusion et la contradiction. Beaucoup adoptent une position « neutre ». Pendant ce temps, les grandes puissances militaires soutiennent l’armée israélienne. Parce que « tout est très complexe ! » Ou : « Nous devons soutenir une démocratie occidentale comme Israël ! » Pourquoi suis-je assis ici en tant qu’évêque et me tais-je ? De qui ou de quoi dois-je me retenir ? » »

L’évêque fait part de ses propres doutes. C’est tout à son honneur de se sentir concerné à titre personnel. La foi chrétienne l’exige. Il peut et doit parler sans crainte et librement de ce qu’il porte dans son coeur, ce qu’il fera les lignes suivantes. Ma réaction ne conteste pas ce droit légitime et nécessaire mais ce que ces propos racontent de sa vision de la place du peuple juif dans la révélation chrétienne et dans l’histoire.
Concernant les chiffres, j’espère qu’ils seront établis un jour. Pour le moment, il n’est pas possible de les propager comme s’ils n’étaient pas discutables, la source étant généralement celle du hamas. Les morts sont nombreux, trop nombreux dans la bande de Gaza et en Israël, c’est un fait. Les chiffres ne le sont pas.

« L’alibi idéal
Je vis dans la ville flamande qui compte la plus grande communauté juive du pays. J’ai de bonnes connaissances dans la communauté juive. Je suis membre de l’Organe consultatif des chrétiens et des juifs de Belgique (OCJB). Dois-je parler ou me taire, et pour qui ? Qui sera mon ami ou mon ennemi lorsque je parlerai ? C’est en effet une histoire complexe. Israël a le droit d’exister et de se défendre, personne n’en doutera. Mais les Palestiniens ont aussi le droit d’exister et de se défendre.
Malheureusement, tous les efforts visant à parvenir à une solution à deux États ont été systématiquement et stratégiquement boycottés. Jusqu’à ce qu’une explosion prévisible fournisse l’alibi idéal. »

Je partage ce constat. Ce conflit divise les amis, les familles, les collègues, la théologie et les théologiens. Je n’ai pas de doute que nous en souffrons tous. Les efforts pour une solution à deux Etats ont été boycottés par des membres des deux camps. Nous sommes collectivement responsables de ne pas avoir soutenu suffisamment la réflexion, le chemin, les initiatives de paix et de sécurité pour chacun.
Par contre, la dernière phrase est déplacée. L’alibi idéal de quoi ? À quoi ? Pour qui ? L’évêque semble supposer que tout Israël n’attendait que cela, qu’un massacre, qu’une barbarie pour rentrer dans un territoire qui, à terme, sera un problème insoluble ? L’expression est jolie, on la trouve généralement dans les polars. Ici, elle laisse planer le doute, le complot, le machiavélisme à partir duquel il n’est de fait plus possible de discuter, de dialoguer. La vraie vie est moins simple, moins facile à comprendre.

« L’explosion s’est produite. L’offensive finale semble avoir commencé. Personne ne croit désormais à la coexistence pacifique dans l’ancien territoire sous mandat de la Palestine. Les enfants doivent mourir. Les jeunes doivent partir. Les autres se radicaliseront (que feraient-ils d’autre ?). Et après Gaza, la Cisjordanie suivra. Où sont les droits de l’homme et le droit international ? »

L’analyse continue. Elle généralise. Oui, envisager une coexistence pacifique est aujourd’hui difficile pour chacun d’entre nous. Je pleure chaque matin sur des possibilités perdues. Je réfute les propos si facilement affirmatifs : « les enfants doivent mourir. Les jeunes doivent partir. » Peut-être que des colons israéliens le pensent effectivement. Je connais autant et j’espère plus d’Israéliens qui ne l’envisagent et ne le souhaitent pas. « Et après Gaza, la Cisjordanie suivra. » Mgr Bonny a peut-être peur. Il en a le droit. Mais il est urgent pour la paix elle-même de stopper nos projections sur l’autre. Personne ne parle d’une action sur la Cisjordanie si ce n’est l’extrême droite israélienne qui a justement été mise de côté pour le moment dans le gouvernement israélien. Les projections d’un côté comme de l’autre ne facilitent pas exactement l’établissement nécessaire d’un droit qui prendrait compte de l’histoire dans son ensemble.

« En tant qu’évêque, je veux me limiter à mon domaine, celui de la foi. Chrétiens et juifs partagent en grande partie les mêmes écrits sacrés, les livres que nous appelons l’Ancien Testament. Mais dans notre interprétation de ces écrits, nous ne sommes en aucun cas sur le même chemin depuis la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Cette différence ne concerne pas des accessoires, mais le cœur du problème: le fait que l’amour de Dieu et le salut de Dieu ne sont plus liés à un pays, une race ou une culture spécifique. Au cœur du christianisme se trouve l’universalité du salut. Tous les droits et devoirs associés à la foi chrétienne ont une signification universelle. Ils transcendent tout intérêt privé, même tout intérêt religieux privé. »

Il est exact que les chrétiens partagent l’Ancien Testament avec les Juifs. L’expression est pourtant imprécise. Nous partageons avec eux le peuple juif ces textes car nous les recevons d’eux. L’alliance entre Dieu et le peuple juif n’ayant jamais été révoquée et l’alliance en Jésus étant greffée sur cette alliance là, nous pouvons mettre cette expression au présent. Nous recevons l’Ancien Testament des Juifs encore aujourd’hui. Cet Ancien Testament est le fruit d’une réflexion sur leur histoire faite par les Juifs dans leur relation à Dieu. Que les chrétiens soient nés de l’accomplissement du Verbe – peut-être pourrions nous dire de la Torah – en Jésus, le Juif, ceci est une évidence. Cela ne nous autorise pas à nier l’antériorité et la dépendance toujours actuelle qui nous lie à ce peuple.
Nier la greffe est peut-être en fait le coeur du problème si nous cherchons ensemble à en trouver un. L’universalité du salut accompli en Jésus n’est pas une universalité qui écrase les singularités mais qui part d’elles. C’est précisément pour cette raison qu’à titre personnel je soutiens l’existence des palestiniens et leur droit à un Etat. L’universalité chrétienne ne pourra jamais se faire en niant la singularité d’où nous venons, en n’en faisant qu’un marche-pied, qu’un tremplin vers plus haut, plus grand, plus beau. L’amour de Dieu pour le monde se manifeste aujourd’hui encore dans le peuple juif pour qu’il se manifeste partout ailleurs et notamment dans le peuple palestinien. Ne pas respecter ce chemin de la révélation chrétienne, c’est tordre le message du Christ en en faisant une généralité floue, tiède, insipide. Nos contemporains ne s’intéressent d’ailleurs plus beaucoup à cette théologie qui n’a plus grand-chose à dire de précis et de vivant au monde.

« Religion, sang et violence
Par conséquent, selon l’opinion chrétienne, il n’y a aucune parole de Dieu dans l’Ancien Testament qui, après la mort et la résurrection de Jésus, puisse légitimer une récupération violente ou une expansion militaire du soi-disant « pays biblique ». Le Dieu d’Israël est le Père de tous les peuples, comme le dit la Genèse. »

La suite confirme mes craintes d’avoir bien compris. Le Dieu d’Israël serait le Dieu de tous les peuples sauf du peuple juif. On connaît bien ce discours mais le tenir encore de façon si simple et si brutale m’étonne. Une fois encore, on utilise la Bible contre les Juifs eux-mêmes. Le geste est déjà dénoncé par Jérémie 50, 7 en parlant des brebis du peuple d’Israël perdues par ses pasteurs. « Tous ceux qui les trouvaient les dévoraient ; leurs adversaires disaient. « Nous ne nous rendons pas coupables, puisqu’elles sont fautives envers le SEIGNEUR. » »

« Il est exaspérant de constater que certains dirigeants politiques et militaires israéliens abusent des thèmes bibliques pour légitimer leurs actions meurtrières.
Ils nuisent à l’image de leur religion et de toutes les religions du monde. Ils pervertissent le sens des plus belles expressions bibliques comme celles de l’Élection, de l’Alliance, de la Promesse, de l’Exode, de la Terre promise ou encore de la Jérusalem de la fin de vie. Ils renforcent l’impression que la religion est liée au sang, à la terre et à la violence. »

Il faut effectivement faire attention en interprétant la Bible. Il est possible de lui faire dire tout et son contraire. Mgr Bonny en donne un bon exemple. Parler d’Election, d’Alliance, de la Promesse, de l’Exode et de la Terre promise sans mentionner de quel dialogue – celui entre Dieu et le peuple de Jacob-Israel – ces notions sont issues est un bon spécimen de telles erreurs.

« Certes, je dis cela en tant que chrétien. Et en tant que chrétien, je dois également traiter notre passé avec prudence. Mais en parlant ainsi, je suis obligé par la différence essentielle – et donc par le message même – pour lequel Jésus de Nazareth est mort sur la croix. Déjà à cette époque : un juif de Palestine, âgé de 33 ans. »

La finale reste à la hauteur du propos. Mentionner la judéité de Jésus surprend presque, tellement elle a été niée pendant tout le texte. Les historiens pourraient éventuellement souligner que Jésus n’a jamais vécu en Palestine, entité créée par les Romains en 135 après Jésus-Christ et que l’âge de Jésus n’est pas chiffrable à l’année près. Mais à la fin de ce texte décalé, pauvre et dangereux théologiquement, on se dit que nous ne sommes pas forcément à un détail près.

Comments Closed