Cher Noé, cher Jonas (43)

Cher Noé, cher Jonas,

Shabbat shalom ! Chers vous deux. Aujourd’hui, il me tardait de vous écrire. Bon, j’espère que vous allez bien. Ce matin, j’ai pris conscience d’une chose importante, du moins, pour moi. Hier dans la journée, un requin bleu (un vrai) a été aperçu nageant tranquillement dans le port. Le soir, pour fêter à sa manière le 1er mai, un voisin croisiériste de l’immeuble d’en face a sorti une banderole et a mis la musique à fond. Nous avons eu droit à plusieurs chants révolutionnaires (ou assimilés…) et à l’internationale. Cela a donné une toute autre atmosphère, comme si nous étions dans un endroit improbable et difficilement datable. Tout cela a duré un bon quart d’heure, juste avant que le couvre-feu ne commence (oui, je suis dans une ville sous couvre-feu depuis le début du confinement). Et là, j’ai réalisé que s’il y a dix ans, quelqu’un avait lu dans mon futur pour me dire qu’un jour je serai bloquée chez-moi à cause d’un couvre-feu, en écoutant l’Internationale diffusée dans tout le quartier et en sachant qu’un requin bleu rodait, j’aurais été prise d’une terreur profonde. J’aurais imaginé le pire, la guerre, l’apocalypse, la terreur, le totalitarisme plus l’effondrement climatique. Pendant dix ans, je me serais fait un sang d’encre, j’aurais lu tous les articles politiques, climatiques, scientifiques à l’international pour comprendre comment nous allions tous finir sous le joug de l’URSS reformée ou sous les griffes d’un scénario à la Jurassic Park. Or, hier, tout allait bien. Il n’y avait pas de menace, pas de situation stressante, pas de danger. J’ai même apprécié la situation. Ce décalage m’a fait réalisé qu’il ne faut pas croire les mots ou plutôt, ne pas les bloquer dans des contenus. Mêmes si tout est vrai dans la prédiction, elles ne disent rien du contexte ou de mes affects. Quand nous envisageons le pire, nous pensons également que nous serons terrassés, que nous ne survivrons pas à la situation. Nous inventons une histoire effrayante et elle réussit à nous faire peur. Dans la vraie vie, rien ne ressemble à ce que nous nous sommes imaginés. Il peut y avoir des requins et des couvre-feux mais ils sont explicables, compréhensibles, réels. Et cela nous donne la place et la force pour y faire face et exister face à eux. L’imagination est toujours pire que le réel.
Bonne soirée, je vous embrasse,
Marie-Laure

Comments Closed