Cher Noé, cher Jonas (24)

Mis en avant

Cher Noé, cher Jonas

J28. Jamais nous n’aurions pensé tenir autant de temps. Aujourd’hui, c’est encore un grand jour. Un moustique est rentré dans l’Arche et, je vous l’avoue, pose problème. Je n’aurais sûrement pas pu vivre avec tous ces animaux dans le même bateau ! Mais ce n’est pas à cause du moustique que ce jour est particulier. Il semblerait que nous approchions d’un plateau. Les informations qui nous parviennent concernant le nombre de personnes malades semblent plutôt bonnes mais il nous faut les vérifier. Ce soir nous allons lâcher un goéland pour savoir si l’eau commence réellement à baisser. Si le goéland ne revient pas c’est qu’il n’ aura pas pu se poser et nous pourrons envisager de déconfiner prochainement. Merci pour le tuyau, Noé. Nous ferons cela vers 8h.

Cette question du temps qui reste devient de plus en plus préoccupante. L’incertitude concernant les jours à passer encore dans l’Arche commence à peser surtout pour ceux qui manquent de vivres. Mais sans date, toute projection est difficile. C’est une déprise de plus dans un quotidien qui en compte pas mal. Privés d’action, nous aimerions compter, faire une sorte de calendrier de l’Avent qui aboutirait à notre sortie. Mais cela ne nous est pas donné et cette impossibilité de se projeter est une affaire à gérer. Et encore nous avons la chance de vivre dans un espace sécurisé et sécurisant si nos colocataires nous respectent. Pour la plupart d’entre nous, nous habitons un endroit que nous connaissons, qui est le nôtre, que nous avons choisi et tout cela contribue à notre sécurité émotionnelle. Le moment de notre libération est donc la seule variable que nous ne connaissons pas. J’ose à peine imaginer ce que cela doit être d’être kidnappé, incarcéré sans jugement, emprisonné dans des endroits inconnus sans avoir une idée de quoi sera fait l’avenir. Il me semble qu’à côté, notre vie est des plus confortables.
Il nous faut peut-être arrêter de compter ce qui n’est pas simple dans une société qui compte tout : nos années, nos heures travaillées, notre consommation d’électricité, nos contrôles techniques, nos battements de coeur, notre nombre de pas, nos élèves, nos ventes, notre coût, notre espérance de vie. Si nous prenons l’habitude d’arrêter de compter, ce ne sera pas pour la reprendre à la sortie… D’ici demain nous verrons bien si notre goëland revient.
Je vous tiens au courant,
Bises
Marie-Laure