Cher Noé, cher Jonas (41)

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Cher Noé, cher Jonas,

chers vous deux. Nous avançons. Dans le flou et l’incertitude mais nous avançons. Dans cette période d’équilibrisme, nous avons besoin de lumière. Pour avancer, pour voir, pour comprendre, pour s’orienter, pour grandir. De la lumière. Sinon nous risquons tous de nous rabougrir sur place. La menace nous guette surtout dans la période de pieds mouillés qui s’annonce. Encore une fois, c’est une phrase de Michel Serres (un jour, je vous expliquerai pourquoi…) qui me vient à l’esprit. Dans un de ses ouvrages, il donnait ce conseil à chacun d’entre nous. « Soyez un arbre ! ». Phrase poétique, absurde, non scientifique mais profondément vraie et inspirante. « Soyez un arbre » n’est pas une posture de yoga ou une figure de Taï Chi. Ce n’est pas non plus une invitation à végéter ou à rester dans l’immobilité. Même si nous voguons depuis déjà 45 jours, c’est un rappel au constat que nous ne sommes pas des poissons. Nous sommes des humains, en contact avec la terre. « L’homme est un arbre des champs ». L’invitation à être un arbre est l’occasion de faire quelque chose aujourd’hui de la pénurie d’énergie qui est la nôtre. « Soyez un arbre ! » Retrouver une verticalité, s’enraciner un peu plus dans le passé et dans l’humus, dans ce qui nous soutient et qui nous porte. Descendre, accepter de s’enfoncer, descendre pour acquérir une stabilité qui ne se voit pas mais qui stabilise l’ensemble. Plus la prétention à monter est haute, plus les racines se doivent d’être profondes. Et puis, il y a un mouvement inverse, en même temps, sans contradiction et sans autorisation. L’arbre monte, vers le haut, vers ce qui lui donne de la lumière, l’éclaire, le réchauffe, lui permet de voir plus clairement. En descendant en recherche de stabilité et en montant en attente de sens et de clarté, il produit de l’oxygène et permet une respiration. Voilà voilà. Soyez un arbre, celui que vous voulez un petit, un grand, un fruitier, un conifère, peu importe. Partez en recherche de lumière, de grandeur, d’espace, un arbre qui servira à fabriquer une Arche ambulante. Mes amis, je crois bien que chacun d’entre vous a tenté d’en être un, tordu, digne, noueux, noble, tendre mais debout.
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (40)

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Cher Noé, cher Jonas,

Bonne nouvelle, l’eau baisse ! La mauvaise, c’est que nous sortirons en pataugeant ! Ce n’est apparemment pas encore que nous aurons la chance de nous promener les pieds secs ! Tout le monde prévoit donc de se promener en bottes en plein été. Voilà qui s’annonce charmant ! Tous ces préparatifs pour anticiper notre sortie aux pieds mouillés sont lourds. Et au sens strict du terme, je constate que, en même temps que l’eau baisse, l’Arche semble s’enfoncer dans l’eau tous les jours un peu plus. Je ne m’explique pas le phénomène si ce n’est à prendre en compte le poids de la charge mentale. Mon hypothèse est que la somme de toutes les préoccupations que nous sommes en train d’anticiper, de prévoir, de gérer, d’aménager produit un alourdissement de notre barque commune. Le poids de la charge mentale est donc bien une réalité qui même virtuelle devient réelle, physique, concrète. Nous avons mis beaucoup d’énergie à rentrer dans l’Arche, faire les provisions, organiser l’emploi du temps et le fonctionnement des espaces numériques de travail, se connaître, se reconnaître, s’accepter pauvre et énervé, passer son temps dans la cuisine et accepter de ne pas sortir. Tout cela nous a demandé un grand effort cognitif, affectif, spirituel. Nous y sommes plus ou moins bien arrivés. Nous étions fiers de nous. Nous souhaitions retrouver l’insouciance c’est-à-dire la légèreté. Or nous rencontrons l’inverse. Nous avions soif de légèreté et nous nous retrouvons avec de la charge mentale. Dit autrement, l’avenir nous pèse. Je ne vois qu’une solution, il faut passer des choses par dessus bord. Désolée, Jonas, cela doit te rappeler de mauvais souvenirs. Il faut regagner de la hauteur et de la légèreté. Nous ne pouvons pas tout porter au même niveau et avec la même intensité. La question qui se pose à nous est : quoi ? De quoi pourrions-nous nous libérer pour faciliter notre fin de parcours, notre sortie de l’Arche, notre naissance à une vie nouvelle ? Ce n’est pas une petite question mais c’est peut-être la seule pour perdre des kilos ! A vos calculettes !
Je vous embrasse !
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (39)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que tout va bien pour vous. On n’est pas sorti de l’auberge…euh de l’arche ! Les prévisions sont aléatoires. Mais quand nous sortirons, nous le ferons dans un monde imparfait, plein de risques, plein de vie. C’est un des grands changements devant nous. Ces dernières semaines, nous nous étions habitués à un monde à taille réduite, limité, régi par des autorisations, des couvre-feux et des périmètres, des raisons valables pour sortir. Les choses étaient claires et l’on pouvait cocher la bonne réponse. Au top, vous avez une heure ! L’Arche n’est pas un monde sûr mais c’est un monde géré par des limites strictes, des lois explicites et millimétrées et une règle du jeu connue. Dans quelques semaines nous reviendrons dans un monde incertain où le virus continue à circuler mais dans lequel la règle du jeu a changé. Nous pensions être dans une Arche mais en anticipant la sortie nous nous rendons compte que nous étions dans un aquarium et qu’il s’agit de revenir de plain pied dans une imperfection que nous avions mise sous cloche. Mais comment rentrer dans un monde imparfait, comment faire pour gérer mille questions, personnelles et professionnelles, sur les pratiques et les postures, le possible et l’impossible, le dangereux et l’inoffensif ? Le comment de la vie nous saute maintenant aux yeux et notre responsabilité est en train de devenir un poids. Ce poids est de plus en plus individuel, là où l’Arche nous protégeait tous des prises de décisions personnelles et de la concurrence. La règle commune y régnait pour favoriser un monde commun. Demain il s’agira de s’habituer à une autre vision du monde, faire des choix individuels, prendre des risques en le sachant ou non, pour soi ou pour d’autres, oser, se poser des questions permanentes. Demain et dehors, le monde ne sera plus lisible avec les clés que nous connaissons. L’imperfection de ce monde nous saute aux yeux et nous renvoie à la nôtre. Nous allons ainsi passer d’un jardin à la française pour rentrer dans un jardin à l’anglaise où tout sera, de nouveau, à comprendre et à cultiver. Pourtant l’imperfection était déjà là avant, notre questionnement et notre liberté aussi. Peut-être nous étions nous habitués ? Cette sortie sera un réveil, l’occasion de se voir et de voir le monde d’un œil nouveau.
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (38)

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Cher Noé, cher Jonas,

Un lundi reste un lundi, confiné ou non. Les reprises sont toujours difficiles. Celle qui nous attend n’échappera pas à la règle. Je continue à réfléchir à la question de l’avenir et à la participation des théologiens à cette élaboration collective. Mon premier point concernait le fait que les institutions n’étaient plus adaptées à des personnes devenues des individus capables de participer à ce qui les concerne. J’aime cette idée. Elle me donne envie de sortir de l’Arche. La principale difficulté vient de toutes les tentatives déjà ratées, les faux-nouveaux départs, les désillusions et les naufrages. Le plus dur c’est de voir quel serait un monde différent. Nous savons que ces institutions ont fait leur temps, qu’elles ne génèrent que de la reproduction. Or quand le monde change aussi vite qu’en ce moment, il s’agit de bifurquer. De désobéir aux idées qui ont eu un grand succès dans le passé car elles correspondaient au monde d’alors. Qu’est-ce que les individus que nous sommes (confinés ou non) attendent d’une institution ? Qu’attend un individu pour être prêt à s’engager, à coopérer, à partager un peu de sa vie ? Chacun peut répondre à cette question. Pour ma part, je crois que désormais nous attendons de la cohérence entre ce qui est annoncé et ce qui est vécu, cohérence dans les différents principes. Nous n’avons pas besoin de gens parfaits ou qui font semblant de l’être. Nous n’avons pas besoin d’un discours idéal qui n’est pas incarné. Nous n’avons pas besoin de certitudes indéboulonnables. Nous sommes trop adultes pour cela. Nous n’avons pas besoin d’une cohérence qui ne soit que de la théorie. Nous avons besoin d’éclairer le chemin sur lequel nous avançons. Nous avons besoin de nous repérer dans ce monde, de tirer des conséquences de nos échecs, de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne marche pas. De pouvoir admirer, de donner de la valeur aux choses et aux actes. En fait, nous avons soif de comprendre et cela n’est possible qu’avec de la cohérence.
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (37)

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Cher Noé, cher Jonas,

Dimanche ! Comment allez-vous ? Ici, le repos fait du bien, même en confinement. Tout se calme un peu, les commentaires, les interviews, les prévisionnistes, les prophètes…Silence. L’occasion d’entendre un peu mieux, de faire autre chose que de réagir. Après le cap des 40 jours, sur ce plateau de maturité chèrement acquis, la question se pose : comment passer en bio, comment capter l’énergie renouvelable capable de nous réinscrire durablement dans des forces plus grandes que nous ? Je regarde. Il y a l’air, le vent, le souffle. Pour le capter, il faut lever le nez, décider de passer outre tout ce qui nous préoccupe et déployer une voile, une éolienne, un cerf-volant, un planeur…Capter l’air demande d’exposer quelque chose, de le risquer, de l’ouvrir. L’air appelle à voir haut, plus haut que soi et loin, bien plus loin que soi. Premier constat : on ne capte rien en étant recroquevillé. Le vent ne s’emprisonne pas, il souffle où il veut, quand il veut Il y a le vent et il y a l’eau, le courant, les vagues. Pour capter l’énergie de l’eau, il faut être solide, enraciné, ancré. Il faut accepter qu’une force passe, comme dans les centrales et que, dans l’immobilité qui est la nôtre, quelque chose se mette en mouvement. L’eau demande de s’enfoncer dans la terre, de descendre, d’accepter une forme d’immobilité. Il s’agit de retrouver ses racines. Quand on descend on trouve de la boue, ce qui n’est pas forcément agréable mais qui est toujours bon signe…Enfin il y a la terre. Nous pouvons envisager de vivre de la permaculture c’est-à-dire de bien connaître notre lieu de vie, de faire les bonnes associations, de ne pas épuiser ce qui nous fait vivre, de préserver ce qui est vivant et de le favoriser. En résumé, passer en mode énergies renouvelables c’est lever la tête, regarder haut et loin, s’enraciner, accepter la boue, se servir des mouvements de la vie, s’associer intelligemment, préférer la singularité et la diversité, ne pas saturer notre sol ni épuiser nos proches, faire avec. Profiter de la maturité…
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (36)

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Cher Noé, cher Jonas,

Le temps est à la rêverie…La semaine a été lourde, chargée de la fatigue du confinement et des angoisses sur l’avenir. Pour certains il y a l’épuisement d’avoir travaillé double et pour d’autres l’angoisse de la reprise. Dans ce contexte, neuf pour chacun d’entre nous, nous arrivons au bout de nos ressources propres. Nous avons donné le meilleur de notre patience, de notre raison, de nos arguments pour que ce confinement soit viable et vivable. Nos bonnes manières et notre vernis social ont fait ce qu’ils ont pu. Globalement, ils ont tenu le choc. Mais maintenant nous sommes rentrés dans le dur. Notre stock est épuisé, notre bronzage d’été est fini. Nous n’avons plus rien dans les cales en terme d’arguments et d’énergie positive accumulée. C’est le moment d’actionner une autre façon d’avancer et de récupérer de l’énergie. Nous sommes un moteur hybride qui s’ignore, arrivés là grâce à une énergie fossile, qui marche bien mais qui pollue beaucoup : énervements, doutes, fatigue, stress, crispations… Cette énergie nous l’avons achetée durement en terme de consommation et d’efforts pour arriver à jongler avec des emplois du temps de folie, être multitâche et à l’heure, pour arriver repassés aux réunions, pour tenter de rentrer dans le moule en prévoyant TOUT de notre vie. Cette énergie est maintenant épuisée. Nous ne consommons plus (des vêtements, des restau, des ciné, des cours de muscu…) depuis 40 jours. Nous sommes en panne sèche. Or 40 jours, dans la Bible, c’est le moment de la maturité. Aujourd’hui, 40e jour de confinement, quelque chose devient possible car nous sommes enfin devenus pauvres. Nous allons pouvoir passer en énergie renouvelable et vivre d’une énergie qui ne s’épuise pas. Enfin !
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (35)

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Cher Noé, cher Jonas,
Cher vous deux. Aujourd’hui J39, c’est le début du Ramadan. Heureusement que nous n’avons pas tous les mêmes croyances. Il y aurait des vides d’intensité pour monter vers le Haut. Les prières se succèdent et maintiennent une continuité dans l’humanité.
L’ambiance dans l’Arche est aux réflexions économiques. Des personnes s’inquiètent pour leur vie future, ce qu’elles vont manger, de quoi elles vont se vêtir…D’autres ont sorti leur calculette et passent leur journée à taper dessus. Heureusement qu’elles n’ont pas le gouvernail de l’Arche, nous serions tous passés par dessus bord à la suite d’une fausse manœuvre. Dans le contexte, on demande leurs avis aux économistes : « Messieurs (rarement Mesdames…), quelles sont vos prévisions ? Que pensez-vous de la situation ? Faut-il s’inquiéter ? Comment sera le monde de l’après-confinement ? ». Tout cela me fait penser qu’on ne pose jamais la question aux théologiens. Ce serait pourtant intéressant de leur donner la parole pour qu’ils nous parlent du monde qu’ils souhaiteraient ou ne souhaiteraient plus. L’exercice est compliqué, casse-gueule, une occasion d’attraper des problèmes que l’on aurait pu s’éviter. Je me demande ce que je dirais si la question m’était posée. Michel Serres disait que nous vivions une époque où toutes les institutions étaient en crise, que toutes elles pouvaient mettre un panneau « fermé pour cause d’inventaire » ou disparaître, inadaptées au monde actuel. Cette idée m’a toujours plu. Je la trouve très juste. Nos institutions sont nées dans une autre époque, une époque où nos « je » n’étaient pas adultes. Aujourd’hui nous détestons être infantilisés, nous ne voulons plus qu’on nous mente ou qu’on nous réserve le rôle de spectateurs. Nous souhaitons participer, prendre notre part et jouer un rôle dans ce qui nous arrive. « Nihil de nobis, Sine nobis » ou en latin moderne « Nothing about us, whitout us » ou encore en français « Si c’est à notre sujet, ne le faites pas sans nous ». Je crois que ce serait ma première réponse. Démonter les institutions pour les remonter en faisant de leurs membres de vrais partenaires et non plus des spectateurs. Comme je ne suis pas économiste, je vous le dis à vous. Je ne sais pas combien coûte ma proposition mais c’est ma (première) contribution au monde à venir.
Je vous embrasse bon week-end, bon début de ramadan et shabbat shalom,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (34)

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Cher Noé, cher Jonas,
Le soleil revient, l’eau baisse, la fatigue fait un peu plus surface au moment où nous envisageons le futur. Nous sommes encore dans l’Arche, solidaires de ce destin commun. L’occasion de vous dire que je ne crois pas que ce virus soit un ennemi, quelque chose ou quelqu’un qui consciemment nous voudrait du mal. Non, le virus n’a pas ce pouvoir, il en a d’autres… Nous n’avons pas d’ennemis de ce type et donc nous ne sommes pas en guerre comme nous l’avons été dans l’histoire. S’il y a un ennemi, il vient de l’intérieur. Dans ce contexte d’incertitudes, de désespoir et de craintes, nous sommes notre propre ennemi. C’est de l’intérieur que la division peut venir et cette division peut prendre de nombreux aspects. Nous pouvons ne plus croire en nous et ne plus nous reconnaître. Ou nous détester et nous trahir. Nous pouvons ne plus vouloir coopérer avec d’autres pour construire le monde qui s’annonce et nous couper de la vie avec les autres. Nous pouvons nous désolidariser de nos rêves, de nos espoirs ou de nos valeurs, de tout ce que l’on croyait vrai, beau et bon. Nous pouvons nous lâcher, nous abandonner à la suspicion et à la crainte de nos voisins, de nos collègues, de tous ceux que l’on croise. Là est l’ennemi. Dans cette séparation ténue qui nous met en retrait ou à part. Oui, il y a un ennemi, il est dedans et le seul moyen que nous avons pour le faire disparaître est de le reconnaître, le faire sien, le recoller à ce que nous sommes. Avant de sortir, nous pouvons enlacer cette part de nous-mêmes pour ne pas avoir à accuser l’extérieur de cette séparation entre soi et soi. Voilà, un virus, pas un ennemi. Et la proposition de recoller à sa vie et à son histoire. Nous sortirons de l’Arche en paix, avec des copains encore inconnus à rencontrer.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (33)

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Cher Noé, cher Jonas,
J 37. Nous voguons vers l’avenir avec lourdeur et optimisme, selon les moments de la journée. Pour se préparer à la sortie et dans le seul but de faciliter le déconfinement, aujourd’hui nous allons regarder de près comment cela s’est passé pour vous ! Dit autrement, c’est le moment de sortir les dossiers. Commençons par Noé. Après la sortie de l’Arche, tu as rapidement planté une vigne. Pourquoi pas…Le cépage n’est pas précisé. Mais quelque temps plus tard, tu as été interpelé en état d’ivresse pour attentat à la pudeur ! La famille a évité que l’affaire ne soit trop publiée. Pour Jonas, en sortant du gros poisson, tu as accepté de partir vers Ninive pour les avertir du caractère dangereux de leur conduite et les prévenir de la nécessité d’un changement. La démarche positive est à noter surtout que tu t’es retrouvé à passer du temps sous l’eau pour l’avoir tout d’abord refusé. Après cette intervention réussie, tout s’est compliqué. Tu as été vu en train de squatter sur la voie publique, pris en flagrant délit de construction illicite et en train de tenir des propos incohérents sur Dieu et sur la vie. Ayant réussi, tu aurais été atteint du forme aiguë de mégalomanie ou de toute puissance. Si je résume état d’ivresse, attentat à la pudeur, mégalomanie et toute-puissance ! Mes amis, il va falloir se préparer à retrouver une forme de liberté qui ne dégénère pas en n’importe quoi pour nous et pour les autres. La place que nous avons perdue pendant le confinement ne se regagnera pas en envahissant l’espace des autres. Comment éviter que le déconfinement nous explose au nez ? Une idée ?
Merci de votre participation,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (32)

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Cher Noé, cher Jonas

Chers vous deux. Nous nous sommes rapprochés. Il me faut vous le dire, avant de passer à autre chose, de trouver un autre sujet, un autre état d’âme, un autre questionnement. Nous nous sommes rapprochés. Nous trois incontestablement. Vous deux, silencieux, et moi tentant de mettre par écrit ma vie normale devenue confinée. Vous êtes devenus des amis, des gens à qui on peut prendre le temps de raconter un bout du chemin et qui peuvent comprendre. Nous nous sommes rapprochés. Ce confinement a resserré des liens distendus, des relations tellement évidentes qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire. Nous nous sommes rapprochés, dans ou hors les murs, des personnes qui font partie de notre vie, de notre histoire ou de notre avenir. Nous nous sommes tenus chauds, prenant des nouvelles, nous aidant les uns les autres comme nous le pouvions, faisant du troc, se donnant des tuyaux et du courage. Nous nous sommes rapprochés à coup de zoom, de coups de téléphone, de pensées et de prières. Nous nous sommes rapprochés à l’hôpital, à la caisse, à la poste, à l’épicerie de quartier ou chez le fromager. Nous nous sommes rapprochés pour dire aux autres de prendre soin d’eux, d’appeler s’il y avait besoin, de donner des nouvelles. Nous nous sommes rapprochés malgré les deuils, les pertes, les au-revoir, les visites impossibles et à jamais perdues. Nous nous sommes rapprochés suffisamment pour comprendre qu’après le confinement il faudrait à certaine ou certain quitter la violence, le mépris ou les désaccords haineux. Nous nous sommes rapprochés de nous-mêmes de nos limites, de nos fragilités et de nos rêves. Notre rapprochement nous a resserrés jusqu’à parfois l’étouffement, jusqu’à la frustration.
Nous quitterons un jour cette Arche pour une vie distanciée. Nous nous souviendrons de ce moment incroyable où la distance a été longue et courte, où l’éloignement et la solitude ont généré proximité et partage. Nous nous sommes tant aimés.
Cher Noé, cher Jonas à demain,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (31)

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Cher Noé, cher Jonas,
J 35. L’eau baisse mais le ciel est gris. Notre impuissance est devenue palpable. Il ne s’agit pas de la liste de ce que nous ne pouvons pas faire en étant confinés. Le confinement a trait au non-agir. Non, nous comprenons que l’humanité ne peut pas tout, ne sait pas tout, ne comprend pas tout. Une claque ! L’impuissance révèle tout ce que nous ne pouvons pas faire. Tout ce que nous aimerions réaliser pour soi et encore plus souvent pour les autres (guérir, éviter, alléger, rendre l’insouciance, préserver, consoler…) et que nous nous retrouvons dans l’incapacité de faire. C’est la prise de conscience que notre coeur est plus gros que nos compétences, que nous ne sommes pas à la hauteur de ce que nous souhaitons. Oui, cela évite de se prendre pour un super héros et de faire du despotisme éclairé (ou pas). Nous aimerions passer en force, faire la pluie et le beau temps de soi et des autres dans le seul but d’éviter de souffrir et d’éviter la souffrance des autres. Mais, au fond de notre conscience, cette impuissance nous met devant le constat que nous n’éviterons pas la souffrance. C’est cela qui nous tire vers le bas et le fait d’autant mieux que nous sommes dans une situation où nous sommes déjà cernés par nos limites du moment. Voilà donc un monstre de qualité, un de ceux qui nous laissent pieds et poings liés. Face à l’impossibilité de pouvoir agir, il nous reste la force de nos questions. Si ce que nous voulons n’est pas possible, il est temps de nous interroger et de choisir un autre chemin, d’autres options. L’impuissance est le signe que ce chemin est maintenant à repenser. Si nous ne pouvons plus décupler nos forces il reste à penser différemment notre rapport au monde, d’inventer d’autres façons d’agir, d’être, de rentrer en relation. Ne pas pouvoir nous oblige à agir autrement. Quel chemin est-il possible d’inventer pour faire face à la situation ? L’impuissance est une possibilité d’ouvrir le réel. Les jours qui viennent s’annoncent être un terrain de jeu formidable pour s’entraîner : repérer l’impuissance et inventer un autre chemin. Je pense avoir trouvé mieux qu’un puzzle.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (30)

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Cher Noé, cher Jonas

Je suis heureuse de vous écrire ces quelques mots. Aujourd’hui c’est le retour du dimanche. Cette régularité des shabbat et des dimanches est précieuse. Elle rythme le temps, met des limites temporelles. C’est étonnant comme les limites temporelles ne rajoutent pas de l’angoisse au confinement mais le soutiennent. Dimanche. Aujourd’hui atelier masque pour ce moment où l’Arche nous rejettera sur le sable. Ce qui est devenu un des biens les plus recherchés du moment vient du mot masca qui signifie sorcière, ces femmes ayant accès à une harmonie d’un autre ordre, à un savoir d’un autre temps. Les sorcières reviennent et nous devons les incarner. J’aime énormément cette idée que nous devrons tous revêtir des masques parce que la médecine scientifique est pour le moment impuissante à répondre ou à donner des solutions efficaces pour prévenir la contamination. Nous régresserons tous à une idée bien plus vieille et qui a été pendant longtemps la seule médecine connue et acceptable : celle des sorcières ! Nous allons nous masquer et tenter de juguler l’épidémie en cachant nos visages. Nous allons tous jouer aux sorcières. Ce pied-de-nez me semble tout à fait significatif. La rationalité cartésienne a échoué à nous sauver tous et de tout. Il n’est pas bon de lui laisser le monde à venir, le monde tel que nous le déciderons à la sortie de l’Arche. L’art et la spiritualité, la poésie et la contemplation, les visions différentes de voir le monde doivent maintenant être présentes dans le débat. Le bricolage, l’entre-aide, la générosité, les idées saugrenues maintiennent nos vies au-dessus de l’eau depuis quelques semaines. Demain, déguisés en sorcières, nous pourrons faire une place différente à d’autres façons de voir le monde, l’économie, le futur, l’agriculture, la théologie. Ce soir, ce retour des sorcières est une idée réjouissante. Les balais ne prendront pas la place d’Air France. Mais cela nous donnera un peu d’air. Qui donc peut avoir peur des sorcières ?
Merci,
à très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (29)

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Cher Noé, cher Jonas

Shabbat Shalom. J 33 de notre confinement. 33. Dites 33. C’est d’actualité. Nous sommes maintenant rentrés dans une drôle de période. Nous contemplons difficilement au présent. Ayant été autorisés à envisager le futur, nous voilà coincés au milieu de la falaise. J33 ou J -22 ? Aujourd’hui, il me semble que je crains ce que je perçois. Je crains que nous soyons déçus et que les jours qui suivront notre autorisation permanente de sortie soient décevants. Je crains les divisions qui menacent. Les « anciens » (c’est le nouveau terme!) l’ont perçu qui ne veulent pas rester à la maison, en arrière, en retrait, cachés, confinés. Je crains le racisme envers les non-masqués…En fait, je nous crains…C’est la violence qui a fait que Noé, tu as passé des semaines entières confinés et je crains celle qui nous attend à la sortie, quand la vie redeviendra normale. Enfin non. Semi-normale ? Non, non plus. Cette semaine j’ai entendu quelqu’un dire qu’il était choqué par cette expression de « vie normale ». Il disait : « il n’y a pas une vie normale et une vie pas normale. Il y a la vie, non ? » Cette remarque m’a interpellée. Il a raison. Il y a notre vie et aucun mode d’emploi ne précise qu’elle doit être comme ceci ou comme cela. Il n’y a pas de SAV vers lequel nous pourrions nous retourner pour protester. Rien n’est jamais normal dans notre vie. La normalité est une affaire de statistiques, de mémoire. Oui, statistiquement il y avait peu de chance que la moitié de l’humanité soit enfermée au même moment. Mais la vie est une. Cette vie confinée est la vie. C’est notre vie. La vie d’avant ne s’est pas arrêtée. Elle n’est pas en train d’attendre qu’on la réactive, elle n’est pas en veille quelque part dans un espace temps différent. C’est la vie d’avant qui a évolué et qui est devenue la vie que nous connaissons ce samedi. Aujourd’hui, notre vie « normale » consiste à être confinés ou à être réquisitionnés pour travailler. Dans 22 jours, elle consistera à vivre pleinement les nouveautés que nous découvrirons…
Sur ce, je vous fais la bise !
À bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (28)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Les jours se suivent. Ils seront différents jusqu’au bout mais l’Arche comme caisse de résonance ne se dément pas. La solitude y est plus forte, l’abandon plus visible, la pauvreté plus criante, la douleur plus aigüe, le deuil plus odieux…L’Arche amplifie, grossit, ce que nous sommes de plus intérieur. Cela me fait penser à ce film où les acteurs rencontraient en vrai les monstres qui surgissaient de leur esprit et qu’ils ne reconnaissaient. Le monstre était immanquablement le plus effrayant car c’était le bon pour la personne, celui qui lui correspondait le mieux dans ses peurs, ses colères ou ses tristesses. Dans ces jours d’Arche, nous croisons nos monstres, certains jours plus clairement que d’autres et nous ne pouvons pas fuir. Aucun mot, aucune autorisation ne peut nous aider à éviter les monstres qui sont les nôtres et qui se confinent avec nous dans l’Arche. Que faire de tous ces monstres qui nous correspondent tellement, ces monstres dont le casting est remarquable ? Rien n’est plus compliqué, plus difficile. La rencontre avec ses monstres est l’affaire d’une vie, de la nôtre. L’occasion est pourtant unique et précieuse d’arriver à coincer un monstre dans un espace aussi petit et aussi limité.
Je ne suis pas spécialiste des monstres en général. J’ai les miens. Je commence à bien les connaître. Ces monstres là ne meurent pas. Si on les attaque, ils redoublent d’énergie et de pouvoir. On peut essayer de discuter mais ils ont un temps d’avance. Il semblerait que la solution soit de les amadouer, de s’en approcher le plus possible et de leur faire un peu de place, de les reconnaître. Les monstres rapetissent si on les accueille. Ils n’ont pas l’habitude, ils sont timides. La seule condition est de les regarder en face et le confinement est une belle occasion ! Après la chasse à l’oeuf, pourquoi pas la rencontre des monstres ? L’Arche est vraiment un lieu qui héberge beaucoup de monde…
Je vous embrasse,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (27)

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Cher Noé, cher Jonas

J 31. Un mois plein. L’eau baisse, c’est maintenant visible à l’oeil nu. Même si nous restons concentrés et tentons d’être stables, nous pensons tous maintenant à la sortie. Cette sortie, on se l’imagine, on l’espère, on la craint, certains la préparent. Pourtant la vie consiste à sortir. C’est une succession de sorties. Sortie pour naître, sortie pour mourir, sortie des classes, sortie de l’adolescence, sortie de la vie active. Dans la Bible aussi il y a de nombreuses sorties. Le peuple hébreu sort d’Egypte, Jésus sort du tombeau, Noé finit par sortir de l’Arche et Jonas du gros poisson. Vivre c’est sortir. On devrait être des sortants de compétition, des personnes expertes dans la sortie puisqu’on passe notre vie à s’entraîner.
Et pourtant, on sort souvent difficilement. Sortir demande un effort car il s’agit de quitter une zone de confort, un périmètre que l’on a fini par connaître ou maîtriser. Sortir c’est se confronter à un ailleurs, une différence de température, des horizons différents. Pour certaines personnes, sortir ne semble pas être un problème. Peut-être ne sont-elles pas vraiment rentrées ? Pour les autres dont je suis, sortir demande une préparation, une motivation, un désir de trouver quelque chose après, à l’extérieur, de l’autre côté. La sortie se fait d’autant mieux qu’elle s’accompagne de liberté. C’est d’ailleurs la définition de la sortie réussie : c’est de pouvoir le faire librement. Être libre de sortir, choisir de sortir, choisir la liberté en sortant. Comme c’est bientôt (un mois…) la sortie de l’Arche et le retour en classe ou au travail, cela me fait penser que c’est aussi le sens d’éduquer. Éduquer c’est aider quelqu’un à sortir, à aller ailleurs, à viser plus loin. Quand on le fait librement, cela devient s’éduquer ! Et la vie continue !
Je vous embrasse,
Marie-Laure