Cher Noé, cher Jonas (36)

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Cher Noé, cher Jonas,

Le temps est à la rêverie…La semaine a été lourde, chargée de la fatigue du confinement et des angoisses sur l’avenir. Pour certains il y a l’épuisement d’avoir travaillé double et pour d’autres l’angoisse de la reprise. Dans ce contexte, neuf pour chacun d’entre nous, nous arrivons au bout de nos ressources propres. Nous avons donné le meilleur de notre patience, de notre raison, de nos arguments pour que ce confinement soit viable et vivable. Nos bonnes manières et notre vernis social ont fait ce qu’ils ont pu. Globalement, ils ont tenu le choc. Mais maintenant nous sommes rentrés dans le dur. Notre stock est épuisé, notre bronzage d’été est fini. Nous n’avons plus rien dans les cales en terme d’arguments et d’énergie positive accumulée. C’est le moment d’actionner une autre façon d’avancer et de récupérer de l’énergie. Nous sommes un moteur hybride qui s’ignore, arrivés là grâce à une énergie fossile, qui marche bien mais qui pollue beaucoup : énervements, doutes, fatigue, stress, crispations… Cette énergie nous l’avons achetée durement en terme de consommation et d’efforts pour arriver à jongler avec des emplois du temps de folie, être multitâche et à l’heure, pour arriver repassés aux réunions, pour tenter de rentrer dans le moule en prévoyant TOUT de notre vie. Cette énergie est maintenant épuisée. Nous ne consommons plus (des vêtements, des restau, des ciné, des cours de muscu…) depuis 40 jours. Nous sommes en panne sèche. Or 40 jours, dans la Bible, c’est le moment de la maturité. Aujourd’hui, 40e jour de confinement, quelque chose devient possible car nous sommes enfin devenus pauvres. Nous allons pouvoir passer en énergie renouvelable et vivre d’une énergie qui ne s’épuise pas. Enfin !
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (35)

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Cher Noé, cher Jonas,
Cher vous deux. Aujourd’hui J39, c’est le début du Ramadan. Heureusement que nous n’avons pas tous les mêmes croyances. Il y aurait des vides d’intensité pour monter vers le Haut. Les prières se succèdent et maintiennent une continuité dans l’humanité.
L’ambiance dans l’Arche est aux réflexions économiques. Des personnes s’inquiètent pour leur vie future, ce qu’elles vont manger, de quoi elles vont se vêtir…D’autres ont sorti leur calculette et passent leur journée à taper dessus. Heureusement qu’elles n’ont pas le gouvernail de l’Arche, nous serions tous passés par dessus bord à la suite d’une fausse manœuvre. Dans le contexte, on demande leurs avis aux économistes : « Messieurs (rarement Mesdames…), quelles sont vos prévisions ? Que pensez-vous de la situation ? Faut-il s’inquiéter ? Comment sera le monde de l’après-confinement ? ». Tout cela me fait penser qu’on ne pose jamais la question aux théologiens. Ce serait pourtant intéressant de leur donner la parole pour qu’ils nous parlent du monde qu’ils souhaiteraient ou ne souhaiteraient plus. L’exercice est compliqué, casse-gueule, une occasion d’attraper des problèmes que l’on aurait pu s’éviter. Je me demande ce que je dirais si la question m’était posée. Michel Serres disait que nous vivions une époque où toutes les institutions étaient en crise, que toutes elles pouvaient mettre un panneau « fermé pour cause d’inventaire » ou disparaître, inadaptées au monde actuel. Cette idée m’a toujours plu. Je la trouve très juste. Nos institutions sont nées dans une autre époque, une époque où nos « je » n’étaient pas adultes. Aujourd’hui nous détestons être infantilisés, nous ne voulons plus qu’on nous mente ou qu’on nous réserve le rôle de spectateurs. Nous souhaitons participer, prendre notre part et jouer un rôle dans ce qui nous arrive. « Nihil de nobis, Sine nobis » ou en latin moderne « Nothing about us, whitout us » ou encore en français « Si c’est à notre sujet, ne le faites pas sans nous ». Je crois que ce serait ma première réponse. Démonter les institutions pour les remonter en faisant de leurs membres de vrais partenaires et non plus des spectateurs. Comme je ne suis pas économiste, je vous le dis à vous. Je ne sais pas combien coûte ma proposition mais c’est ma (première) contribution au monde à venir.
Je vous embrasse bon week-end, bon début de ramadan et shabbat shalom,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (34)

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Cher Noé, cher Jonas,
Le soleil revient, l’eau baisse, la fatigue fait un peu plus surface au moment où nous envisageons le futur. Nous sommes encore dans l’Arche, solidaires de ce destin commun. L’occasion de vous dire que je ne crois pas que ce virus soit un ennemi, quelque chose ou quelqu’un qui consciemment nous voudrait du mal. Non, le virus n’a pas ce pouvoir, il en a d’autres… Nous n’avons pas d’ennemis de ce type et donc nous ne sommes pas en guerre comme nous l’avons été dans l’histoire. S’il y a un ennemi, il vient de l’intérieur. Dans ce contexte d’incertitudes, de désespoir et de craintes, nous sommes notre propre ennemi. C’est de l’intérieur que la division peut venir et cette division peut prendre de nombreux aspects. Nous pouvons ne plus croire en nous et ne plus nous reconnaître. Ou nous détester et nous trahir. Nous pouvons ne plus vouloir coopérer avec d’autres pour construire le monde qui s’annonce et nous couper de la vie avec les autres. Nous pouvons nous désolidariser de nos rêves, de nos espoirs ou de nos valeurs, de tout ce que l’on croyait vrai, beau et bon. Nous pouvons nous lâcher, nous abandonner à la suspicion et à la crainte de nos voisins, de nos collègues, de tous ceux que l’on croise. Là est l’ennemi. Dans cette séparation ténue qui nous met en retrait ou à part. Oui, il y a un ennemi, il est dedans et le seul moyen que nous avons pour le faire disparaître est de le reconnaître, le faire sien, le recoller à ce que nous sommes. Avant de sortir, nous pouvons enlacer cette part de nous-mêmes pour ne pas avoir à accuser l’extérieur de cette séparation entre soi et soi. Voilà, un virus, pas un ennemi. Et la proposition de recoller à sa vie et à son histoire. Nous sortirons de l’Arche en paix, avec des copains encore inconnus à rencontrer.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (33)

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Cher Noé, cher Jonas,
J 37. Nous voguons vers l’avenir avec lourdeur et optimisme, selon les moments de la journée. Pour se préparer à la sortie et dans le seul but de faciliter le déconfinement, aujourd’hui nous allons regarder de près comment cela s’est passé pour vous ! Dit autrement, c’est le moment de sortir les dossiers. Commençons par Noé. Après la sortie de l’Arche, tu as rapidement planté une vigne. Pourquoi pas…Le cépage n’est pas précisé. Mais quelque temps plus tard, tu as été interpelé en état d’ivresse pour attentat à la pudeur ! La famille a évité que l’affaire ne soit trop publiée. Pour Jonas, en sortant du gros poisson, tu as accepté de partir vers Ninive pour les avertir du caractère dangereux de leur conduite et les prévenir de la nécessité d’un changement. La démarche positive est à noter surtout que tu t’es retrouvé à passer du temps sous l’eau pour l’avoir tout d’abord refusé. Après cette intervention réussie, tout s’est compliqué. Tu as été vu en train de squatter sur la voie publique, pris en flagrant délit de construction illicite et en train de tenir des propos incohérents sur Dieu et sur la vie. Ayant réussi, tu aurais été atteint du forme aiguë de mégalomanie ou de toute puissance. Si je résume état d’ivresse, attentat à la pudeur, mégalomanie et toute-puissance ! Mes amis, il va falloir se préparer à retrouver une forme de liberté qui ne dégénère pas en n’importe quoi pour nous et pour les autres. La place que nous avons perdue pendant le confinement ne se regagnera pas en envahissant l’espace des autres. Comment éviter que le déconfinement nous explose au nez ? Une idée ?
Merci de votre participation,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (32)

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Cher Noé, cher Jonas

Chers vous deux. Nous nous sommes rapprochés. Il me faut vous le dire, avant de passer à autre chose, de trouver un autre sujet, un autre état d’âme, un autre questionnement. Nous nous sommes rapprochés. Nous trois incontestablement. Vous deux, silencieux, et moi tentant de mettre par écrit ma vie normale devenue confinée. Vous êtes devenus des amis, des gens à qui on peut prendre le temps de raconter un bout du chemin et qui peuvent comprendre. Nous nous sommes rapprochés. Ce confinement a resserré des liens distendus, des relations tellement évidentes qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire. Nous nous sommes rapprochés, dans ou hors les murs, des personnes qui font partie de notre vie, de notre histoire ou de notre avenir. Nous nous sommes tenus chauds, prenant des nouvelles, nous aidant les uns les autres comme nous le pouvions, faisant du troc, se donnant des tuyaux et du courage. Nous nous sommes rapprochés à coup de zoom, de coups de téléphone, de pensées et de prières. Nous nous sommes rapprochés à l’hôpital, à la caisse, à la poste, à l’épicerie de quartier ou chez le fromager. Nous nous sommes rapprochés pour dire aux autres de prendre soin d’eux, d’appeler s’il y avait besoin, de donner des nouvelles. Nous nous sommes rapprochés malgré les deuils, les pertes, les au-revoir, les visites impossibles et à jamais perdues. Nous nous sommes rapprochés suffisamment pour comprendre qu’après le confinement il faudrait à certaine ou certain quitter la violence, le mépris ou les désaccords haineux. Nous nous sommes rapprochés de nous-mêmes de nos limites, de nos fragilités et de nos rêves. Notre rapprochement nous a resserrés jusqu’à parfois l’étouffement, jusqu’à la frustration.
Nous quitterons un jour cette Arche pour une vie distanciée. Nous nous souviendrons de ce moment incroyable où la distance a été longue et courte, où l’éloignement et la solitude ont généré proximité et partage. Nous nous sommes tant aimés.
Cher Noé, cher Jonas à demain,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (31)

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Cher Noé, cher Jonas,
J 35. L’eau baisse mais le ciel est gris. Notre impuissance est devenue palpable. Il ne s’agit pas de la liste de ce que nous ne pouvons pas faire en étant confinés. Le confinement a trait au non-agir. Non, nous comprenons que l’humanité ne peut pas tout, ne sait pas tout, ne comprend pas tout. Une claque ! L’impuissance révèle tout ce que nous ne pouvons pas faire. Tout ce que nous aimerions réaliser pour soi et encore plus souvent pour les autres (guérir, éviter, alléger, rendre l’insouciance, préserver, consoler…) et que nous nous retrouvons dans l’incapacité de faire. C’est la prise de conscience que notre coeur est plus gros que nos compétences, que nous ne sommes pas à la hauteur de ce que nous souhaitons. Oui, cela évite de se prendre pour un super héros et de faire du despotisme éclairé (ou pas). Nous aimerions passer en force, faire la pluie et le beau temps de soi et des autres dans le seul but d’éviter de souffrir et d’éviter la souffrance des autres. Mais, au fond de notre conscience, cette impuissance nous met devant le constat que nous n’éviterons pas la souffrance. C’est cela qui nous tire vers le bas et le fait d’autant mieux que nous sommes dans une situation où nous sommes déjà cernés par nos limites du moment. Voilà donc un monstre de qualité, un de ceux qui nous laissent pieds et poings liés. Face à l’impossibilité de pouvoir agir, il nous reste la force de nos questions. Si ce que nous voulons n’est pas possible, il est temps de nous interroger et de choisir un autre chemin, d’autres options. L’impuissance est le signe que ce chemin est maintenant à repenser. Si nous ne pouvons plus décupler nos forces il reste à penser différemment notre rapport au monde, d’inventer d’autres façons d’agir, d’être, de rentrer en relation. Ne pas pouvoir nous oblige à agir autrement. Quel chemin est-il possible d’inventer pour faire face à la situation ? L’impuissance est une possibilité d’ouvrir le réel. Les jours qui viennent s’annoncent être un terrain de jeu formidable pour s’entraîner : repérer l’impuissance et inventer un autre chemin. Je pense avoir trouvé mieux qu’un puzzle.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (30)

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Cher Noé, cher Jonas

Je suis heureuse de vous écrire ces quelques mots. Aujourd’hui c’est le retour du dimanche. Cette régularité des shabbat et des dimanches est précieuse. Elle rythme le temps, met des limites temporelles. C’est étonnant comme les limites temporelles ne rajoutent pas de l’angoisse au confinement mais le soutiennent. Dimanche. Aujourd’hui atelier masque pour ce moment où l’Arche nous rejettera sur le sable. Ce qui est devenu un des biens les plus recherchés du moment vient du mot masca qui signifie sorcière, ces femmes ayant accès à une harmonie d’un autre ordre, à un savoir d’un autre temps. Les sorcières reviennent et nous devons les incarner. J’aime énormément cette idée que nous devrons tous revêtir des masques parce que la médecine scientifique est pour le moment impuissante à répondre ou à donner des solutions efficaces pour prévenir la contamination. Nous régresserons tous à une idée bien plus vieille et qui a été pendant longtemps la seule médecine connue et acceptable : celle des sorcières ! Nous allons nous masquer et tenter de juguler l’épidémie en cachant nos visages. Nous allons tous jouer aux sorcières. Ce pied-de-nez me semble tout à fait significatif. La rationalité cartésienne a échoué à nous sauver tous et de tout. Il n’est pas bon de lui laisser le monde à venir, le monde tel que nous le déciderons à la sortie de l’Arche. L’art et la spiritualité, la poésie et la contemplation, les visions différentes de voir le monde doivent maintenant être présentes dans le débat. Le bricolage, l’entre-aide, la générosité, les idées saugrenues maintiennent nos vies au-dessus de l’eau depuis quelques semaines. Demain, déguisés en sorcières, nous pourrons faire une place différente à d’autres façons de voir le monde, l’économie, le futur, l’agriculture, la théologie. Ce soir, ce retour des sorcières est une idée réjouissante. Les balais ne prendront pas la place d’Air France. Mais cela nous donnera un peu d’air. Qui donc peut avoir peur des sorcières ?
Merci,
à très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (29)

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Cher Noé, cher Jonas

Shabbat Shalom. J 33 de notre confinement. 33. Dites 33. C’est d’actualité. Nous sommes maintenant rentrés dans une drôle de période. Nous contemplons difficilement au présent. Ayant été autorisés à envisager le futur, nous voilà coincés au milieu de la falaise. J33 ou J -22 ? Aujourd’hui, il me semble que je crains ce que je perçois. Je crains que nous soyons déçus et que les jours qui suivront notre autorisation permanente de sortie soient décevants. Je crains les divisions qui menacent. Les « anciens » (c’est le nouveau terme!) l’ont perçu qui ne veulent pas rester à la maison, en arrière, en retrait, cachés, confinés. Je crains le racisme envers les non-masqués…En fait, je nous crains…C’est la violence qui a fait que Noé, tu as passé des semaines entières confinés et je crains celle qui nous attend à la sortie, quand la vie redeviendra normale. Enfin non. Semi-normale ? Non, non plus. Cette semaine j’ai entendu quelqu’un dire qu’il était choqué par cette expression de « vie normale ». Il disait : « il n’y a pas une vie normale et une vie pas normale. Il y a la vie, non ? » Cette remarque m’a interpellée. Il a raison. Il y a notre vie et aucun mode d’emploi ne précise qu’elle doit être comme ceci ou comme cela. Il n’y a pas de SAV vers lequel nous pourrions nous retourner pour protester. Rien n’est jamais normal dans notre vie. La normalité est une affaire de statistiques, de mémoire. Oui, statistiquement il y avait peu de chance que la moitié de l’humanité soit enfermée au même moment. Mais la vie est une. Cette vie confinée est la vie. C’est notre vie. La vie d’avant ne s’est pas arrêtée. Elle n’est pas en train d’attendre qu’on la réactive, elle n’est pas en veille quelque part dans un espace temps différent. C’est la vie d’avant qui a évolué et qui est devenue la vie que nous connaissons ce samedi. Aujourd’hui, notre vie « normale » consiste à être confinés ou à être réquisitionnés pour travailler. Dans 22 jours, elle consistera à vivre pleinement les nouveautés que nous découvrirons…
Sur ce, je vous fais la bise !
À bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (28)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Les jours se suivent. Ils seront différents jusqu’au bout mais l’Arche comme caisse de résonance ne se dément pas. La solitude y est plus forte, l’abandon plus visible, la pauvreté plus criante, la douleur plus aigüe, le deuil plus odieux…L’Arche amplifie, grossit, ce que nous sommes de plus intérieur. Cela me fait penser à ce film où les acteurs rencontraient en vrai les monstres qui surgissaient de leur esprit et qu’ils ne reconnaissaient. Le monstre était immanquablement le plus effrayant car c’était le bon pour la personne, celui qui lui correspondait le mieux dans ses peurs, ses colères ou ses tristesses. Dans ces jours d’Arche, nous croisons nos monstres, certains jours plus clairement que d’autres et nous ne pouvons pas fuir. Aucun mot, aucune autorisation ne peut nous aider à éviter les monstres qui sont les nôtres et qui se confinent avec nous dans l’Arche. Que faire de tous ces monstres qui nous correspondent tellement, ces monstres dont le casting est remarquable ? Rien n’est plus compliqué, plus difficile. La rencontre avec ses monstres est l’affaire d’une vie, de la nôtre. L’occasion est pourtant unique et précieuse d’arriver à coincer un monstre dans un espace aussi petit et aussi limité.
Je ne suis pas spécialiste des monstres en général. J’ai les miens. Je commence à bien les connaître. Ces monstres là ne meurent pas. Si on les attaque, ils redoublent d’énergie et de pouvoir. On peut essayer de discuter mais ils ont un temps d’avance. Il semblerait que la solution soit de les amadouer, de s’en approcher le plus possible et de leur faire un peu de place, de les reconnaître. Les monstres rapetissent si on les accueille. Ils n’ont pas l’habitude, ils sont timides. La seule condition est de les regarder en face et le confinement est une belle occasion ! Après la chasse à l’oeuf, pourquoi pas la rencontre des monstres ? L’Arche est vraiment un lieu qui héberge beaucoup de monde…
Je vous embrasse,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (27)

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Cher Noé, cher Jonas

J 31. Un mois plein. L’eau baisse, c’est maintenant visible à l’oeil nu. Même si nous restons concentrés et tentons d’être stables, nous pensons tous maintenant à la sortie. Cette sortie, on se l’imagine, on l’espère, on la craint, certains la préparent. Pourtant la vie consiste à sortir. C’est une succession de sorties. Sortie pour naître, sortie pour mourir, sortie des classes, sortie de l’adolescence, sortie de la vie active. Dans la Bible aussi il y a de nombreuses sorties. Le peuple hébreu sort d’Egypte, Jésus sort du tombeau, Noé finit par sortir de l’Arche et Jonas du gros poisson. Vivre c’est sortir. On devrait être des sortants de compétition, des personnes expertes dans la sortie puisqu’on passe notre vie à s’entraîner.
Et pourtant, on sort souvent difficilement. Sortir demande un effort car il s’agit de quitter une zone de confort, un périmètre que l’on a fini par connaître ou maîtriser. Sortir c’est se confronter à un ailleurs, une différence de température, des horizons différents. Pour certaines personnes, sortir ne semble pas être un problème. Peut-être ne sont-elles pas vraiment rentrées ? Pour les autres dont je suis, sortir demande une préparation, une motivation, un désir de trouver quelque chose après, à l’extérieur, de l’autre côté. La sortie se fait d’autant mieux qu’elle s’accompagne de liberté. C’est d’ailleurs la définition de la sortie réussie : c’est de pouvoir le faire librement. Être libre de sortir, choisir de sortir, choisir la liberté en sortant. Comme c’est bientôt (un mois…) la sortie de l’Arche et le retour en classe ou au travail, cela me fait penser que c’est aussi le sens d’éduquer. Éduquer c’est aider quelqu’un à sortir, à aller ailleurs, à viser plus loin. Quand on le fait librement, cela devient s’éduquer ! Et la vie continue !
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (26)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. J. 30. Depuis hier, rien de neuf ! Je constate que la vie est une recherche permanente de stabilité. Au début du confinement, nous avions un peu l’impression d’être bloqués dans un ascenseur et hier, d’être expulsés du nid. Stabilité est donc le mot du jour ! Pour être tout à fait au clair, je suis retournée à mon dictionnaire. Le premier sens à stabilité est «caractère de ce qui tend à demeurer dans le même état ». Si c’est ça, la stabilité n’est pas notre état de vie dans l’Arche. Les émotions vont dans tous les sens tout en étant décuplées. Le second sens date de 1549 et est l’« état d’une construction capable de demeurer dans un équilibre permanent, sans ruptures ni tassements, et de résister à des contraintes normales ». Je me questionne sur la pertinence de cette définition. D’abord, je ne sais pas trop ce que signifie tassements…mais surtout je ne sais pas si nous sommes dans des contraintes normales. Ce que nous vivons est hors norme, cette définition ne peut pas s’appliquer à ce que l’on vit. La troisième date de 1845 et décrit la « Propriété d’un corps de revenir à sa position d’équilibre et de reprendre son mouvement après une modification passagère. » Voilà ! C’est la définition qu’il nous faut. La stabilité est une recherche d’équilibre qui nous permet d’avancer quand on le souhaite. Etre stable ce n’est pas ne pas changer, ne pas tomber, ne pas vaciller mais c’est pouvoir revenir à un équilibre à un moment donné. Stare consiste à tenir, à rester debout malgré les crises et les à-coups. Cela a donné des mots comme étable, stage, station, stabat mater et des verbes comme insister, exister, persister, résister, instaurer. Notre vie est donc une forme de persistance dans ce que l’on croit juste et vrai. Avec le recul, il ne nous restera pas les moments de fuite ou de n’importe quoi. Il restera la ligne que nous aurons choisi de tenir, le cap vers lequel nous voguons. Stabilité, nous voilà !
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (25)

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Cher Noé, cher Jonas

Nous ne sortons pas ! Notre goëland est revenu mais avec une perspective à un mois. Presque sûr ! La sortie est devenue quelque chose de réel, un ancrage dans l’avenir et dans le temps. Du coup, tout aujourd’hui, j’ai promené une sorte de blues de fausse fin de déconfinement. L’être humain est un animal compliqué ! Pour être triste en pleine conscience, j’ai fait la liste de tout ce que je ne ferai pas avant d’être déconfinée et qu’il me faut commencer à accepter pour être prête à sortir quand ce sera le moment. Voilà ma liste :
– atteindre l’Eveil…
– finir le puzzle de 2000 pièces que je n’ai pas encore acheté. (le confinement n’interdit pas l’absurde…)
– lire le tome 2 du livre de Christoph Théobald Le christianisme comme style . Je suis en fait au début du tome 1…
– faire un journal de bord à l’aquarelle
– passer un coup de téléphone à tous ceux que je n’ai pas encore contactés
– écrire un livre. Ou deux.
– finir le mooc sur la permaculture
– ranger le garage
– préparer mes cours pour l’année prochaine dans le but d’avoir, pour une fois, de vraies vacances d’été.
– cuisiner mon premier fraisier
– apprendre les règles du jeu de go

Par contre, j’espère avoir le temps de ranger toute ma bibliothèque et de coudre des masques pour préparer le déconfinement. Voilà les nouvelles…
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (24)

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Cher Noé, cher Jonas

J28. Jamais nous n’aurions pensé tenir autant de temps. Aujourd’hui, c’est encore un grand jour. Un moustique est rentré dans l’Arche et, je vous l’avoue, pose problème. Je n’aurais sûrement pas pu vivre avec tous ces animaux dans le même bateau ! Mais ce n’est pas à cause du moustique que ce jour est particulier. Il semblerait que nous approchions d’un plateau. Les informations qui nous parviennent concernant le nombre de personnes malades semblent plutôt bonnes mais il nous faut les vérifier. Ce soir nous allons lâcher un goéland pour savoir si l’eau commence réellement à baisser. Si le goéland ne revient pas c’est qu’il n’ aura pas pu se poser et nous pourrons envisager de déconfiner prochainement. Merci pour le tuyau, Noé. Nous ferons cela vers 8h.

Cette question du temps qui reste devient de plus en plus préoccupante. L’incertitude concernant les jours à passer encore dans l’Arche commence à peser surtout pour ceux qui manquent de vivres. Mais sans date, toute projection est difficile. C’est une déprise de plus dans un quotidien qui en compte pas mal. Privés d’action, nous aimerions compter, faire une sorte de calendrier de l’Avent qui aboutirait à notre sortie. Mais cela ne nous est pas donné et cette impossibilité de se projeter est une affaire à gérer. Et encore nous avons la chance de vivre dans un espace sécurisé et sécurisant si nos colocataires nous respectent. Pour la plupart d’entre nous, nous habitons un endroit que nous connaissons, qui est le nôtre, que nous avons choisi et tout cela contribue à notre sécurité émotionnelle. Le moment de notre libération est donc la seule variable que nous ne connaissons pas. J’ose à peine imaginer ce que cela doit être d’être kidnappé, incarcéré sans jugement, emprisonné dans des endroits inconnus sans avoir une idée de quoi sera fait l’avenir. Il me semble qu’à côté, notre vie est des plus confortables.
Il nous faut peut-être arrêter de compter ce qui n’est pas simple dans une société qui compte tout : nos années, nos heures travaillées, notre consommation d’électricité, nos contrôles techniques, nos battements de coeur, notre nombre de pas, nos élèves, nos ventes, notre coût, notre espérance de vie. Si nous prenons l’habitude d’arrêter de compter, ce ne sera pas pour la reprendre à la sortie… D’ici demain nous verrons bien si notre goëland revient.
Je vous tiens au courant,
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas

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Cher Noé, cher Jonas,
Nous y voilà. C’est Pâques. Nous allons sortir de quarantaine ! Il nous restera à gérer un confinement. Il fait soleil, les personnes à leur balcon dans l’immeuble d’en face me font penser à des personnes profitant de leur croisière sur un paquebot. Les cloches ne sont pas passées et n’ont pas laissé d’oeufs. C’est dommage car on n’en manque.
Pâques est la fête d’un tombeau trouvé vide. Le corps a disparu. L’histoire qui a bouleversé une grande partie du monde ressemble au début d’un polar. Il aurait été possible de se démener pour trouver des coupables, élaborer des pistes de recherche, faire des analyses scientifiques pour rechercher des indices, interroger des témoins, visionner les caméras de vidéo-surveillance et élaborer un communiqué pour la presse. Mais tout cela aurait été vain. « Le corps a disparu » n’est pas une affirmation policière, scientifique, politique. C’est un constat spirituel. Spirituel, le terme vient de « respirer ». La disparition du corps est une possibilité offerte pour respirer. L’événement nous dit que la mort ne prendra plus toute la place, que ceux qui partent autorisent les vivants à un avenir. L’événement explicite qu’il n’y a pas à relancer la machine en cherchant des coupables. La place est libre pour faire autre chose que se venger ou faire repartir la logique de la haine et du reproche. L’événement nous dit que personne ne sera plus propriétaire du corps. Pas de corps, pas de relique. Le tombeau vide laisse désemparés tous ceux qui voulaient mettre le grappin sur l’histoire de cet homme. Le tombeau est vide, la vie peut reprendre, neuve, forte, différente. Cet espace vide est un cadeau précieux qui met tout le monde à égalité face à l’événement. L’espace libéré rend à chacun sa liberté, son pouvoir de croire, d’agir et d’inventer d’autres façons de vivre.
Joyeuses Pâques
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (22)

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Cher Noé, cher Jonas

J26. Nuit 26 ou nuit 27 tout dépend du décompte. La nuit de tous les changements, la nuit pascale. Jésus, qui s’est fait arrêté à cause de sa liberté et du caractère subversif de son attitude, a fini par en mourir. L’alliance du pouvoir religieux et politique est arrivée à avoir sa peau. Le système établi et le on-fait-comme-d’habitude-et-surtout-on-ne-change-rien ont gagné la partie. Jésus est mort d’avoir cherché à vivre en contournant un règlement intérieur trop peu humain, trop peu spirituel à son goût, d’avoir rencontré trop de petits chefs aux plus hautes places. Les systèmes n’aiment pas les questions, ni les questionneurs. Mis au tombeau par les soignants de l’époque, il ne peut logiquement plus nuire. Tout cela sera bientôt de l’histoire ancienne, un petit agitateur de plus qui a fini de faire le malin. Logiquement. Mais cette nuit n’est pas logique. Ce qui se passe dans le tombeau montre que l’étroitesse n’a pas le dernier mot. En cela il fallait que sa mort soit le jour de la Pâque juive. Cette nuit contredit la mort mais également tout ce qu’il y mène : la jalousie, la peur, l’angoisse des tenants du système, la délation, la trahison, l’enfermement religieux, l’abus du pouvoir politique, la lâcheté. La résurrection ne vient pas juste délivrer de la mort quelqu’un d’exceptionnel. Non. Elle annonce quelque chose qui concerne tout le monde. Ce qui se passe cette nuit dans l’obscurité du tombeau vient contredire tous les systèmes qui pensent mettre la main sur Dieu et sur la liberté des gens. La résurrection montre au grand jour que Jésus a eu raison d’avoir la vie qu’il a eu, de guérir les gens sans autorisation, de les aimer sans frontière, de leur pardonner sans condition, de les rencontrer sans limite, de les croire sans vérifier, de leur faire confiance sans attendre, de les libérer sans caution, de les accompagner sans cotisation, de les nourrir sans ticket, de leur parler de Dieu sans haine, d’annoncer le Royaume sans peur, d’être lui sans fausseté et d’inciter ses disciples à faire de même. C’est tout cela qui devient vrai et juste dans cette nuit de Pâques. C’est ce style de vie qui est reconnu comme celui qui plaît à Dieu, même hors piste, même hors tradition.
Il a été tué. Il n’est plus aux mains de la mort. N’y retombons pas !
Je vous embrasse
Marie-Laure