Cher Noé, cher Jonas (31)

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Cher Noé, cher Jonas,
J 35. L’eau baisse mais le ciel est gris. Notre impuissance est devenue palpable. Il ne s’agit pas de la liste de ce que nous ne pouvons pas faire en étant confinés. Le confinement a trait au non-agir. Non, nous comprenons que l’humanité ne peut pas tout, ne sait pas tout, ne comprend pas tout. Une claque ! L’impuissance révèle tout ce que nous ne pouvons pas faire. Tout ce que nous aimerions réaliser pour soi et encore plus souvent pour les autres (guérir, éviter, alléger, rendre l’insouciance, préserver, consoler…) et que nous nous retrouvons dans l’incapacité de faire. C’est la prise de conscience que notre coeur est plus gros que nos compétences, que nous ne sommes pas à la hauteur de ce que nous souhaitons. Oui, cela évite de se prendre pour un super héros et de faire du despotisme éclairé (ou pas). Nous aimerions passer en force, faire la pluie et le beau temps de soi et des autres dans le seul but d’éviter de souffrir et d’éviter la souffrance des autres. Mais, au fond de notre conscience, cette impuissance nous met devant le constat que nous n’éviterons pas la souffrance. C’est cela qui nous tire vers le bas et le fait d’autant mieux que nous sommes dans une situation où nous sommes déjà cernés par nos limites du moment. Voilà donc un monstre de qualité, un de ceux qui nous laissent pieds et poings liés. Face à l’impossibilité de pouvoir agir, il nous reste la force de nos questions. Si ce que nous voulons n’est pas possible, il est temps de nous interroger et de choisir un autre chemin, d’autres options. L’impuissance est le signe que ce chemin est maintenant à repenser. Si nous ne pouvons plus décupler nos forces il reste à penser différemment notre rapport au monde, d’inventer d’autres façons d’agir, d’être, de rentrer en relation. Ne pas pouvoir nous oblige à agir autrement. Quel chemin est-il possible d’inventer pour faire face à la situation ? L’impuissance est une possibilité d’ouvrir le réel. Les jours qui viennent s’annoncent être un terrain de jeu formidable pour s’entraîner : repérer l’impuissance et inventer un autre chemin. Je pense avoir trouvé mieux qu’un puzzle.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (30)

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Cher Noé, cher Jonas

Je suis heureuse de vous écrire ces quelques mots. Aujourd’hui c’est le retour du dimanche. Cette régularité des shabbat et des dimanches est précieuse. Elle rythme le temps, met des limites temporelles. C’est étonnant comme les limites temporelles ne rajoutent pas de l’angoisse au confinement mais le soutiennent. Dimanche. Aujourd’hui atelier masque pour ce moment où l’Arche nous rejettera sur le sable. Ce qui est devenu un des biens les plus recherchés du moment vient du mot masca qui signifie sorcière, ces femmes ayant accès à une harmonie d’un autre ordre, à un savoir d’un autre temps. Les sorcières reviennent et nous devons les incarner. J’aime énormément cette idée que nous devrons tous revêtir des masques parce que la médecine scientifique est pour le moment impuissante à répondre ou à donner des solutions efficaces pour prévenir la contamination. Nous régresserons tous à une idée bien plus vieille et qui a été pendant longtemps la seule médecine connue et acceptable : celle des sorcières ! Nous allons nous masquer et tenter de juguler l’épidémie en cachant nos visages. Nous allons tous jouer aux sorcières. Ce pied-de-nez me semble tout à fait significatif. La rationalité cartésienne a échoué à nous sauver tous et de tout. Il n’est pas bon de lui laisser le monde à venir, le monde tel que nous le déciderons à la sortie de l’Arche. L’art et la spiritualité, la poésie et la contemplation, les visions différentes de voir le monde doivent maintenant être présentes dans le débat. Le bricolage, l’entre-aide, la générosité, les idées saugrenues maintiennent nos vies au-dessus de l’eau depuis quelques semaines. Demain, déguisés en sorcières, nous pourrons faire une place différente à d’autres façons de voir le monde, l’économie, le futur, l’agriculture, la théologie. Ce soir, ce retour des sorcières est une idée réjouissante. Les balais ne prendront pas la place d’Air France. Mais cela nous donnera un peu d’air. Qui donc peut avoir peur des sorcières ?
Merci,
à très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (29)

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Cher Noé, cher Jonas

Shabbat Shalom. J 33 de notre confinement. 33. Dites 33. C’est d’actualité. Nous sommes maintenant rentrés dans une drôle de période. Nous contemplons difficilement au présent. Ayant été autorisés à envisager le futur, nous voilà coincés au milieu de la falaise. J33 ou J -22 ? Aujourd’hui, il me semble que je crains ce que je perçois. Je crains que nous soyons déçus et que les jours qui suivront notre autorisation permanente de sortie soient décevants. Je crains les divisions qui menacent. Les « anciens » (c’est le nouveau terme!) l’ont perçu qui ne veulent pas rester à la maison, en arrière, en retrait, cachés, confinés. Je crains le racisme envers les non-masqués…En fait, je nous crains…C’est la violence qui a fait que Noé, tu as passé des semaines entières confinés et je crains celle qui nous attend à la sortie, quand la vie redeviendra normale. Enfin non. Semi-normale ? Non, non plus. Cette semaine j’ai entendu quelqu’un dire qu’il était choqué par cette expression de « vie normale ». Il disait : « il n’y a pas une vie normale et une vie pas normale. Il y a la vie, non ? » Cette remarque m’a interpellée. Il a raison. Il y a notre vie et aucun mode d’emploi ne précise qu’elle doit être comme ceci ou comme cela. Il n’y a pas de SAV vers lequel nous pourrions nous retourner pour protester. Rien n’est jamais normal dans notre vie. La normalité est une affaire de statistiques, de mémoire. Oui, statistiquement il y avait peu de chance que la moitié de l’humanité soit enfermée au même moment. Mais la vie est une. Cette vie confinée est la vie. C’est notre vie. La vie d’avant ne s’est pas arrêtée. Elle n’est pas en train d’attendre qu’on la réactive, elle n’est pas en veille quelque part dans un espace temps différent. C’est la vie d’avant qui a évolué et qui est devenue la vie que nous connaissons ce samedi. Aujourd’hui, notre vie « normale » consiste à être confinés ou à être réquisitionnés pour travailler. Dans 22 jours, elle consistera à vivre pleinement les nouveautés que nous découvrirons…
Sur ce, je vous fais la bise !
À bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (28)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Les jours se suivent. Ils seront différents jusqu’au bout mais l’Arche comme caisse de résonance ne se dément pas. La solitude y est plus forte, l’abandon plus visible, la pauvreté plus criante, la douleur plus aigüe, le deuil plus odieux…L’Arche amplifie, grossit, ce que nous sommes de plus intérieur. Cela me fait penser à ce film où les acteurs rencontraient en vrai les monstres qui surgissaient de leur esprit et qu’ils ne reconnaissaient. Le monstre était immanquablement le plus effrayant car c’était le bon pour la personne, celui qui lui correspondait le mieux dans ses peurs, ses colères ou ses tristesses. Dans ces jours d’Arche, nous croisons nos monstres, certains jours plus clairement que d’autres et nous ne pouvons pas fuir. Aucun mot, aucune autorisation ne peut nous aider à éviter les monstres qui sont les nôtres et qui se confinent avec nous dans l’Arche. Que faire de tous ces monstres qui nous correspondent tellement, ces monstres dont le casting est remarquable ? Rien n’est plus compliqué, plus difficile. La rencontre avec ses monstres est l’affaire d’une vie, de la nôtre. L’occasion est pourtant unique et précieuse d’arriver à coincer un monstre dans un espace aussi petit et aussi limité.
Je ne suis pas spécialiste des monstres en général. J’ai les miens. Je commence à bien les connaître. Ces monstres là ne meurent pas. Si on les attaque, ils redoublent d’énergie et de pouvoir. On peut essayer de discuter mais ils ont un temps d’avance. Il semblerait que la solution soit de les amadouer, de s’en approcher le plus possible et de leur faire un peu de place, de les reconnaître. Les monstres rapetissent si on les accueille. Ils n’ont pas l’habitude, ils sont timides. La seule condition est de les regarder en face et le confinement est une belle occasion ! Après la chasse à l’oeuf, pourquoi pas la rencontre des monstres ? L’Arche est vraiment un lieu qui héberge beaucoup de monde…
Je vous embrasse,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (27)

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Cher Noé, cher Jonas

J 31. Un mois plein. L’eau baisse, c’est maintenant visible à l’oeil nu. Même si nous restons concentrés et tentons d’être stables, nous pensons tous maintenant à la sortie. Cette sortie, on se l’imagine, on l’espère, on la craint, certains la préparent. Pourtant la vie consiste à sortir. C’est une succession de sorties. Sortie pour naître, sortie pour mourir, sortie des classes, sortie de l’adolescence, sortie de la vie active. Dans la Bible aussi il y a de nombreuses sorties. Le peuple hébreu sort d’Egypte, Jésus sort du tombeau, Noé finit par sortir de l’Arche et Jonas du gros poisson. Vivre c’est sortir. On devrait être des sortants de compétition, des personnes expertes dans la sortie puisqu’on passe notre vie à s’entraîner.
Et pourtant, on sort souvent difficilement. Sortir demande un effort car il s’agit de quitter une zone de confort, un périmètre que l’on a fini par connaître ou maîtriser. Sortir c’est se confronter à un ailleurs, une différence de température, des horizons différents. Pour certaines personnes, sortir ne semble pas être un problème. Peut-être ne sont-elles pas vraiment rentrées ? Pour les autres dont je suis, sortir demande une préparation, une motivation, un désir de trouver quelque chose après, à l’extérieur, de l’autre côté. La sortie se fait d’autant mieux qu’elle s’accompagne de liberté. C’est d’ailleurs la définition de la sortie réussie : c’est de pouvoir le faire librement. Être libre de sortir, choisir de sortir, choisir la liberté en sortant. Comme c’est bientôt (un mois…) la sortie de l’Arche et le retour en classe ou au travail, cela me fait penser que c’est aussi le sens d’éduquer. Éduquer c’est aider quelqu’un à sortir, à aller ailleurs, à viser plus loin. Quand on le fait librement, cela devient s’éduquer ! Et la vie continue !
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (26)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. J. 30. Depuis hier, rien de neuf ! Je constate que la vie est une recherche permanente de stabilité. Au début du confinement, nous avions un peu l’impression d’être bloqués dans un ascenseur et hier, d’être expulsés du nid. Stabilité est donc le mot du jour ! Pour être tout à fait au clair, je suis retournée à mon dictionnaire. Le premier sens à stabilité est «caractère de ce qui tend à demeurer dans le même état ». Si c’est ça, la stabilité n’est pas notre état de vie dans l’Arche. Les émotions vont dans tous les sens tout en étant décuplées. Le second sens date de 1549 et est l’« état d’une construction capable de demeurer dans un équilibre permanent, sans ruptures ni tassements, et de résister à des contraintes normales ». Je me questionne sur la pertinence de cette définition. D’abord, je ne sais pas trop ce que signifie tassements…mais surtout je ne sais pas si nous sommes dans des contraintes normales. Ce que nous vivons est hors norme, cette définition ne peut pas s’appliquer à ce que l’on vit. La troisième date de 1845 et décrit la « Propriété d’un corps de revenir à sa position d’équilibre et de reprendre son mouvement après une modification passagère. » Voilà ! C’est la définition qu’il nous faut. La stabilité est une recherche d’équilibre qui nous permet d’avancer quand on le souhaite. Etre stable ce n’est pas ne pas changer, ne pas tomber, ne pas vaciller mais c’est pouvoir revenir à un équilibre à un moment donné. Stare consiste à tenir, à rester debout malgré les crises et les à-coups. Cela a donné des mots comme étable, stage, station, stabat mater et des verbes comme insister, exister, persister, résister, instaurer. Notre vie est donc une forme de persistance dans ce que l’on croit juste et vrai. Avec le recul, il ne nous restera pas les moments de fuite ou de n’importe quoi. Il restera la ligne que nous aurons choisi de tenir, le cap vers lequel nous voguons. Stabilité, nous voilà !
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (25)

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Cher Noé, cher Jonas

Nous ne sortons pas ! Notre goëland est revenu mais avec une perspective à un mois. Presque sûr ! La sortie est devenue quelque chose de réel, un ancrage dans l’avenir et dans le temps. Du coup, tout aujourd’hui, j’ai promené une sorte de blues de fausse fin de déconfinement. L’être humain est un animal compliqué ! Pour être triste en pleine conscience, j’ai fait la liste de tout ce que je ne ferai pas avant d’être déconfinée et qu’il me faut commencer à accepter pour être prête à sortir quand ce sera le moment. Voilà ma liste :
– atteindre l’Eveil…
– finir le puzzle de 2000 pièces que je n’ai pas encore acheté. (le confinement n’interdit pas l’absurde…)
– lire le tome 2 du livre de Christoph Théobald Le christianisme comme style . Je suis en fait au début du tome 1…
– faire un journal de bord à l’aquarelle
– passer un coup de téléphone à tous ceux que je n’ai pas encore contactés
– écrire un livre. Ou deux.
– finir le mooc sur la permaculture
– ranger le garage
– préparer mes cours pour l’année prochaine dans le but d’avoir, pour une fois, de vraies vacances d’été.
– cuisiner mon premier fraisier
– apprendre les règles du jeu de go

Par contre, j’espère avoir le temps de ranger toute ma bibliothèque et de coudre des masques pour préparer le déconfinement. Voilà les nouvelles…
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (24)

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Cher Noé, cher Jonas

J28. Jamais nous n’aurions pensé tenir autant de temps. Aujourd’hui, c’est encore un grand jour. Un moustique est rentré dans l’Arche et, je vous l’avoue, pose problème. Je n’aurais sûrement pas pu vivre avec tous ces animaux dans le même bateau ! Mais ce n’est pas à cause du moustique que ce jour est particulier. Il semblerait que nous approchions d’un plateau. Les informations qui nous parviennent concernant le nombre de personnes malades semblent plutôt bonnes mais il nous faut les vérifier. Ce soir nous allons lâcher un goéland pour savoir si l’eau commence réellement à baisser. Si le goéland ne revient pas c’est qu’il n’ aura pas pu se poser et nous pourrons envisager de déconfiner prochainement. Merci pour le tuyau, Noé. Nous ferons cela vers 8h.

Cette question du temps qui reste devient de plus en plus préoccupante. L’incertitude concernant les jours à passer encore dans l’Arche commence à peser surtout pour ceux qui manquent de vivres. Mais sans date, toute projection est difficile. C’est une déprise de plus dans un quotidien qui en compte pas mal. Privés d’action, nous aimerions compter, faire une sorte de calendrier de l’Avent qui aboutirait à notre sortie. Mais cela ne nous est pas donné et cette impossibilité de se projeter est une affaire à gérer. Et encore nous avons la chance de vivre dans un espace sécurisé et sécurisant si nos colocataires nous respectent. Pour la plupart d’entre nous, nous habitons un endroit que nous connaissons, qui est le nôtre, que nous avons choisi et tout cela contribue à notre sécurité émotionnelle. Le moment de notre libération est donc la seule variable que nous ne connaissons pas. J’ose à peine imaginer ce que cela doit être d’être kidnappé, incarcéré sans jugement, emprisonné dans des endroits inconnus sans avoir une idée de quoi sera fait l’avenir. Il me semble qu’à côté, notre vie est des plus confortables.
Il nous faut peut-être arrêter de compter ce qui n’est pas simple dans une société qui compte tout : nos années, nos heures travaillées, notre consommation d’électricité, nos contrôles techniques, nos battements de coeur, notre nombre de pas, nos élèves, nos ventes, notre coût, notre espérance de vie. Si nous prenons l’habitude d’arrêter de compter, ce ne sera pas pour la reprendre à la sortie… D’ici demain nous verrons bien si notre goëland revient.
Je vous tiens au courant,
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas

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Cher Noé, cher Jonas,
Nous y voilà. C’est Pâques. Nous allons sortir de quarantaine ! Il nous restera à gérer un confinement. Il fait soleil, les personnes à leur balcon dans l’immeuble d’en face me font penser à des personnes profitant de leur croisière sur un paquebot. Les cloches ne sont pas passées et n’ont pas laissé d’oeufs. C’est dommage car on n’en manque.
Pâques est la fête d’un tombeau trouvé vide. Le corps a disparu. L’histoire qui a bouleversé une grande partie du monde ressemble au début d’un polar. Il aurait été possible de se démener pour trouver des coupables, élaborer des pistes de recherche, faire des analyses scientifiques pour rechercher des indices, interroger des témoins, visionner les caméras de vidéo-surveillance et élaborer un communiqué pour la presse. Mais tout cela aurait été vain. « Le corps a disparu » n’est pas une affirmation policière, scientifique, politique. C’est un constat spirituel. Spirituel, le terme vient de « respirer ». La disparition du corps est une possibilité offerte pour respirer. L’événement nous dit que la mort ne prendra plus toute la place, que ceux qui partent autorisent les vivants à un avenir. L’événement explicite qu’il n’y a pas à relancer la machine en cherchant des coupables. La place est libre pour faire autre chose que se venger ou faire repartir la logique de la haine et du reproche. L’événement nous dit que personne ne sera plus propriétaire du corps. Pas de corps, pas de relique. Le tombeau vide laisse désemparés tous ceux qui voulaient mettre le grappin sur l’histoire de cet homme. Le tombeau est vide, la vie peut reprendre, neuve, forte, différente. Cet espace vide est un cadeau précieux qui met tout le monde à égalité face à l’événement. L’espace libéré rend à chacun sa liberté, son pouvoir de croire, d’agir et d’inventer d’autres façons de vivre.
Joyeuses Pâques
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (22)

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Cher Noé, cher Jonas

J26. Nuit 26 ou nuit 27 tout dépend du décompte. La nuit de tous les changements, la nuit pascale. Jésus, qui s’est fait arrêté à cause de sa liberté et du caractère subversif de son attitude, a fini par en mourir. L’alliance du pouvoir religieux et politique est arrivée à avoir sa peau. Le système établi et le on-fait-comme-d’habitude-et-surtout-on-ne-change-rien ont gagné la partie. Jésus est mort d’avoir cherché à vivre en contournant un règlement intérieur trop peu humain, trop peu spirituel à son goût, d’avoir rencontré trop de petits chefs aux plus hautes places. Les systèmes n’aiment pas les questions, ni les questionneurs. Mis au tombeau par les soignants de l’époque, il ne peut logiquement plus nuire. Tout cela sera bientôt de l’histoire ancienne, un petit agitateur de plus qui a fini de faire le malin. Logiquement. Mais cette nuit n’est pas logique. Ce qui se passe dans le tombeau montre que l’étroitesse n’a pas le dernier mot. En cela il fallait que sa mort soit le jour de la Pâque juive. Cette nuit contredit la mort mais également tout ce qu’il y mène : la jalousie, la peur, l’angoisse des tenants du système, la délation, la trahison, l’enfermement religieux, l’abus du pouvoir politique, la lâcheté. La résurrection ne vient pas juste délivrer de la mort quelqu’un d’exceptionnel. Non. Elle annonce quelque chose qui concerne tout le monde. Ce qui se passe cette nuit dans l’obscurité du tombeau vient contredire tous les systèmes qui pensent mettre la main sur Dieu et sur la liberté des gens. La résurrection montre au grand jour que Jésus a eu raison d’avoir la vie qu’il a eu, de guérir les gens sans autorisation, de les aimer sans frontière, de leur pardonner sans condition, de les rencontrer sans limite, de les croire sans vérifier, de leur faire confiance sans attendre, de les libérer sans caution, de les accompagner sans cotisation, de les nourrir sans ticket, de leur parler de Dieu sans haine, d’annoncer le Royaume sans peur, d’être lui sans fausseté et d’inciter ses disciples à faire de même. C’est tout cela qui devient vrai et juste dans cette nuit de Pâques. C’est ce style de vie qui est reconnu comme celui qui plaît à Dieu, même hors piste, même hors tradition.
Il a été tué. Il n’est plus aux mains de la mort. N’y retombons pas !
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (21)

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Cher Noé, cher Jonas,

J25. Vendredi saint. Nous y sommes. Les chrétiens célèbrent la mort de Jésus au moment où chaque jour nous faisons tous le décompte des morts liés au virus. Apparemment cela ne nous change pas beaucoup. Nous avons l’impression d’être cernés par la disparition, l’absence et les difficultés d’inhumation. La mort de Jésus rejoint toutes ces morts. Les souffrances et le désarroi se rejoignent par le fond. Aujourd’hui c’est un jour pour laisser s’exprimer nos peurs, les souffrances qui nous traversent, le désespoir, la tristesse et les angoisses qui nous habitent. D’une certaine manière, c’est un bon jour. Nous pouvons donner de la place à ce que nous avons du mal à entendre les autres jours. Demain, nous commencerons à remonter vers la lumière. Demain nous pourrons le faire parce que ce soir nous acceptons d’être au fond. Au fond de l’obscurité et de ce qui nous déplaît. Au fond de nos vies. Au fond de situations que personne souhaiterait avoir à vivre. C’est une grand chance de toucher le fond car nous allons pouvoir prendre appui. Au fond, nous ne risquons plus rien de grave.
Ce soir je pense à Joseph d’Arimathée et Nicodème qui enterrent Jésus au moment où tout le monde est parti s’abriter, se cacher, se changer les idées. Eux deux acceptent de rester au fond un plus de temps que les autres pour prendre soin du corps, sans autre espoir que d’enterrer dignement celui dont ils ont apprécié la présence. Cette année, ils me font penser à tous les soignants qui sont en apnée depuis plusieurs semaines.
Merci à vous deux d’avoir accepté de rentrer au fin fond d’une arche, d’une baleine ou d’une obscurité. Merci à tous ceux qui nous ont précédés dans cet enfouissement.
À demain,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (20)

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Cher Noé, cher Jonas,

Aujourd’hui deuxième seder de Pessah pour les Juifs et jeudi saint pour les catholiques et les protestants. Deux repas. Deux moments autour d’une table où il devrait s’agir de se dire des choses importantes avec les personnes en présence. Étonnamment cette année, le calendrier fait coïncider ces deux dates comme dans certains Evangiles où l’on voit Jésus commémorer la sortie d’Egypte, la libération de l’étroitesse, la confiance au Dieu qui fait sortir…Le fait de pouvoir célébrer la libération quelques minutes avant d’être arrêté est un des paradoxes dont l’Evangile a le secret. J’aime cette écriture qui déjoue toute les lectures faciles. J’aime le côté cash avec lequel l’Evangile nous montre que célébrer la libération ne met pas la personne à l’abri de sa vie.
Jésus mange avec ses disciples son dernier repas en se souvenant de l’action de Dieu. Il fait ce qu’il a à faire. Il ne squeeze pas les étapes, il ne marchande pas sa propre libération, il ne remet pas en question la libération passée au vue de la situation actuelle, il a le courage de continuer à s’occuper de ses disciples et à leur enseigner ce que c’est que de vivre. Il reconnaît que dans le passé Dieu a sauvé. Et la gratitude, c’est parfois le maximum qu’une personne puisse faire dans les moments les plus difficiles. Et c’est déjà énorme. Ne pas douter que ce qui a été beau l’a vraiment été, ne pas laisser ses doutes sur le présent envahir la mémoire. Ou l’espoir.
Ces deux repas sont précisément là pour dire l’inverse. Du passé, de l’histoire, de notre histoire nous remontent une confiance, des convictions auxquelles nous avons pu adhérer, l’expérience que nos vies valaient plus que le nombre des années. Ce soir il s’agit de manger en se racontant des histoires pour se rappeler que la vie est plus forte. Il s’agit de faire du sens précisément au moment où rien ne nous y invite si ce n’est la confiance que quelque chose, quelqu’un est à l’oeuvre dans le chaos. Ce soir, il s’agit d’écouter la voix d’une confiance ténue.
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (19)

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Cher Noé, cher Jonas

Ce soir, c’est un grand jour. C’est le premier soir de Pessah, la fête juive qui raconte la sortie d’Egypte, qui permet de la vivre. Bonne fête de Pessah ! C’est le premier moment de festivité de la semaine. Fêter la sortie d’Egypte, fêter la fin de la servitude imposée par Pharaon au moment même où il n’est pas possible ni de sortir de chez soi, ni d’être délivrés du confinement, voilà une situation exceptionnelle. Mais le rituel oblige toujours à être inventif, le rituel demande à être interprété pour en vivre. Alors ce soir, c’est quand même la sortie d’Egypte, ce soir Dieu nous fait sortir de la servitude dans laquelle nous sommes enfermés. En hébreu, le mot pour dire Egypte, est construit sur une racine qui signifie « étroit ». Être en Egypte, c’est être à l’étroit quelque part et ne pas pouvoir en sortir, ne pas pouvoir élargir, espacer, donner de l’air. Ce virus est une Egypte à lui tout seul puisqu’il empêche certaines personnes de respirer. Respirer, c’est donc l’inverse de l’Egypte et Pessah, cela pourrait être ce moment où il nous est proposé de ne plus être coincés dans telle ou telle situation mais, au contraire, de prendre le large. En ce sens, Pessah, ce soir, est quelque chose de possible. Nous sommes tous coincés à un endroit de notre histoire ou de notre personnalité, à l’étroit dans un conditionnement que nous répétons encore et encore quand une situation se présente. Il n’y a pas donc pas besoin d’être confiné pour être en Egypte. Et nous sommes la plupart du temps notre propre Pharaon.
Ce soir, c’est la nuit où nous pouvons désobéir à notre étroitesse. Nous pouvons le faire ensemble. C’est une nuit pour désobéir à ce qui nous oppresse et choisir de lever le camp pour aller s’installer ailleurs, de l’autre côté de la mer pour être sûr de ne pas retomber, de ne pas faire demi-tour, de ne pas être rattrapés , de ne pas participer à notre rétrécissement.
Ce soir, c’est la nuit d’un choix,
Bon Pessah à vous,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (18)

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Cher Noé, cher Jonas,

Aujourd’hui je me permets de vous écrire pour vous partager quelques réflexions. J’ai des doutes sur l’étanchéité de mon arche. D’ordinaire (avant le confinement), il me semble que la distinction privé-public est plutôt bien respectée. Nous ne sommes pas à l’hôpital, nous ne sommes pas spectateurs des personnes qui chaque jour sont intubées, nous n’écoutons pas les soignants dirent combien leur quotidien est difficile. Pourtant, en temps normal, des personnes sont intubées, des soignants vivent chaque jour des situations compliquées mais ils ne le sont pas sous nos yeux. Aujourd’hui, avec toutes les images qui nous arrivent des salles de réanimation et des cercueils dans les ehpad, avec le nombre des morts et les noms des malades célèbres, nous assistons à une intrusion d’un intime qui n’est pas à nous dans notre propre sphère. Ces paroles, ces images rentrent dans nos arches et se mélangent à notre propre intime et, d’une certaine manière, devient le nôtre. Nous sommes alors lourds de toute cette souffrance et cette peine que nous ne pouvons pas porter. En allumant la télé, nous devenons le dépositaire de douleurs personnelles et de problèmes structurels qui n’ont pas eu droit à la parole avant et qui nous arrivent en bloc, en pleine face, dans un moment où nous ne sommes pas en position de force. Une arche trop lourde peut-elle avoir du mal à flotter ? Avez-vous survécu à cette épreuve parce que les parois entre ce qui était à vous et ce qui ne l’était pas étaient étanches ? Aujourd’hui je suis responsable de l’intime qui est à moi, les émotions qui envahissent ma sphère privée, mes doutes, les hauts et les bas qui surgissent dans mon arche. Cela me prend beaucoup d’énergie et de présence. Chacun a la force de gérer sa propre intimité quand il n’est pas systématiquement obligé de prendre l’intimité des autres. Dans le confinement, toutes les intrusions sont dangereuses.
Dedans, dehors. C’est vraiment une question stratégique dans les temps qui sont les nôtres.
je vous embrasse,
à très bientôt
Marie-Laure