Cher Noé, cher Jonas (17)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Aujourd’hui cela fait 21 jours, le temps d’une cure, d’un traitement,…Oui, il y a une forme de soin à ce que l’on vit. Nous repartons pour au moins une cure de plus, un temps de plus pour travailler en profondeur. Quelque chose dans l’atmosphère a changé, comme si nous avions moins peur. Peut-on s’habituer à la catastrophe ? L’être humain est le plus adaptable de tous les mammifères, il est le moins programmé, le moins obéissant à ses habitudes, à sa mémoire. Michel Serres avait l’habitude de dire que c’est précisément cela qui définissait l’être humain. Cette capacité à être plus que lui-même mais à l’être parce qu’en ayant la capacité de désobéir à ce qui était programmé pour lui. L’être humain est donc adaptable, modulable, inventif,…Il peut vivre dans une fusée, un sous-marin, un arbre, un igloo, passer des heures dans un avion ou un canoé-kayak, une cellule, une arche ou un gros poisson et faire quelque chose d’intéressant de sa vie. Nous nous habituons à cette nouvelle vie même si c’est dur, avec des grands moments de ras-le-bol. Nous avons mis de la distance, nous ne nous faisons plus la bise, nous sommes obéissants aux consignes et désobéissants à nos habitudes. Demain nous porterons des masques et nous nous y habituerons. L’être humain est incroyable dans ce qu’il accepte, ce à quoi il se soumet de lui-même. C’est peut-être là la clé. Ce « se » qui change tout. « Se » soumettre, « se » raisonner, « se » contrôler, « se » rassurer, « se » calmer, « se » confiner. C’est ce petit mot de deux lettres qui fait que l’être humain est libre de choisir la vie et celle des autres. Je suis heureuse de ces deux lettres que nous partageons et qui font que chaque personne participe à son existence.
Je vous embrasse,
A bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (16)

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Cher Noé, cher Jonas,
Je vous écris, nous sommes dimanche. Un beau jour de soleil. Il n’est pas facile d’écrire un jour de soleil, l’esprit s’envole, s’échappe, se déconfine. Apparemment les personnes que je vois passer dans la rue ont eu la même idée que mon esprit. Cette semaine, les Juifs fêteront Pessah, Pâque et les chrétiens fêteront Pâques. La semaine qui nous attend est une semaine de libération, d’ouverture, de sortie de ce qui enferme, d’une désobéissance à la servitude et à la mort. La semaine qui arrive s’annonce passionnante, paradoxale, surprenante, contradictoire. Déconfinés, nous allons fêter un déconfinement. Va-t-il nous falloir un effort supplémentaire pour y arriver ou bien cela sera-t-il facile cette année ? Dans tous les cas, il faudra accepter de pratiquer une ouverture pour laisser passer quelque chose qui viendra d’ailleurs que de nos fermetures. Faudra-t-il un laisser-passer pour cela ? Cette année nous allons faire la fête comme des prisonniers, des personnes hospitalisées et des personnes âgées en Ehpad.
Aujourd’hui, il fait soleil. Mon corps est confiné mais mon esprit se promène. Aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait confinée. C’est bien aussi.
Je vous embrasse,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (15),

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Cher Noé, cher Jonas,

Shabbat shalom. J’espère que vous allez bien. J’aimerais savoir ce que vous pensez de nous, de nos gesticulations, de nos impatiences. Le virus a eu le mérite de rendre visible l’invisible ce qui est rare à un niveau personnel et qui l’est encore plus à un niveau collectif. Il a rendu visibles nos dysfonctionnements, nos faiblesses collectives et personnelles, nos points forts. Le virus a rendu visibles les caissières, les infirmières, les éboueurs, le travail et la patience des profs et toutes ces personnes qui font tout pour nous maintenir à flot. Il a rendu visibles les oiseaux qui nous entourent, les insectes, le ciel, l’arbre planté en face de notre bureau, l’importance de ce souffle qui traverse notre corps seconde après seconde. Le virus a rendu visible notre fatigue, nos colères, le manque de connaissance des personnes avec qui nous vivons. Il a rendu visibles nos faiblesses morales, notre rôle de spectateur dans le domaine spirituel, notre manque d’autonomie, nos addictions, notre manque de maturité relationnelle. Le virus a rendu visible l’invisible et toutes les qualités discrètes qui sont devenues vitales pour que la cohabitation se passe bien. Il a rendu visibles nos solidarités, notre créativité, la générosité de tous ceux qui partagent quelque chose.
Un virus invisible est venu recolorier notre monde, mettre du relief, effacer l’épaisseur de certains traits, rajouter des dimensions à notre vie et rendre visible tout ce qui était transparent à nos propres yeux. Il a rendu visible que nous avions besoin des autres, d’une famille, d’amis, de collègues, de sens, de relations.
Au sens strict ce virus est un révélateur. Voilà, nous aussi nous sommes en train de vivre un temps de révélation.
Qu’allons-nous faire de tout ce qui a disparu ? Qu’allons-nous faire de tout ce qui apparaît dans nos vies ? Aujourd’hui cette question me semble cruciale…Demeurer présents au dévoilement.
Merci pour votre présence,
bonne fin de shabbat
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (14)

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Cher Noé, cher Jonas

Comment allez-vous ? Ici, c’est (déjà) la fin de la semaine et j’avoue que je suis un peu fatiguée. A force de faire de l’arche un lieu de co-working le confinement se transforme en forum permanent. Nous sommes donc bien reliés et ce virus nous le prouve encore et encore. Qu’une seule personne au fin fond de la Chine ait pu contaminer la terre entière rend réel notre interdépendance. L’humanité est un seul organisme vivant et ce qui la touche d’un côté à des répercussions de l’autre que l’on s’en rende compte ou pas, qu’on le veuille ou non. Nous le savions pour le cours du pétrole, nous le découvrons pour la maladie. Nous ne sommes peut-être pas encore assez mûrs pour en faire quelque chose de constructif.
Pour en revenir au confinement et à l’espace de co-working, il me semble un peu bizarre de commencer à réfléchir à un déconfinement qui n’est pas pour demain. A vouloir y être trop tôt, nous nous préparons des lendemains compliqués. Non, nous ne sommes pas prêts d’être libres (physiquement) et il vaudrait mieux réfléchir à la meilleure manière de rendre l’arche vivable. Cette volonté de vouloir passer à autre chose, vite, de l’espérer encore plus vite est à la fois tellement humaine et tellement risquée. Ce serait vouloir arriver à Pâques sans passer par le jeudi saint. C’est cette attitude qui nous mène contre le mur en temps normal et cela risque de produire les mêmes effets dans l’arche. Nous allons nous cogner au réel si nous n’acceptons pas le temps qui est le nôtre, ce présent compliqué et indocile. Donc oui, nous sommes confinés. Non, c’est pas demain qu’on sort. Oui, c’est dur. Oui, j’aimerais aussi être ailleurs. Mais oui, je préfère m’habituer à vivre dans l’arche qu’imaginer en sortir demain et me prendre un mur. Ce sera une bonne surprise quand nous y arriverons.
Sur ce à bientôt
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (13)

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Cher Noé, cher Jonas,

Notre connaissance du confinement progresse de jour en jour…Aujourd’hui j’étais sensible aux variations de l’espace dans mon arche personnelle. C’est étonnant comment la perception de l’espace peut varier en fonction de notre état d’esprit. Étouffer dans un environnement étroit quand le moral est en baisse, respirer et ressentir une grande place quand une bouffée de sérénité traverse notre esprit. L’arche grandit et rétrécit en fonction de notre humeur. Notre ego, nos peurs, nos espoirs, nos craintes, tout ce qui nous traverse fonctionne comme notre arche. Peut-être que notre esprit lui-même est une arche dans lequel nous abritons tout ce que nous vivons. L’autre jour, l’idée m’est venue que notre vie était peut-être une sorte de confinement duquel nous sortons à notre mort. C’est une drôle d’idée mais qui m’a rendu la journée intéressante. J’aime bien imaginer que la liberté que nous croyons être totale en temps normal pourrait n’être qu’une inscription dans des limites étroites : notre corps, notre histoire, nos gênes, nos souvenirs. Tout cela nous confine et fait que cette vie est la nôtre. Il ne nous viendra pas à l’idée de nous sentir enfermés. Nous n’avons pas mal vécu le confinement de 9 mois dans le ventre de notre mère. Nous aimons notre confinement dans cette vie et nous nous révoltons dès que l’espace se rétrécit. Nous nous tenons chauds dans nos vies respectives. Le confinement est donc une affaire de points de vue, de liberté imaginée ou retrouvée, d’attente d’autre chose ou pas, de lassitude ou de gratitude.
Jonas, je comprends maintenant que tu ais été avalé par un grand poisson. Je pense en fait qu’au départ le poisson qui t’a avalé était petit. Mais au fur et à mesure de tes prises de conscience à l’intérieur du poisson, l’espace s’est élargi et le poisson a grandi. Sans fausse modestie, qu’en penses-tu ?
J’espère que toutes ces lettres ne vous ennuient pas trop,
merci de votre soutien,
See you
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (12)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Les jours se suivent avec leurs lots de haut et de bas, de moments d’espoir et d’anxiété. Ce yo-yo est décuplé par le fait que nous sommes encouragés à rester dedans et à …ne rien faire. Or, nous avons grandi dans l’idée de transformer le monde, d’y mettre toute notre énergie, toute notre volonté. Pour cela, nous avons progressivement laissé de côté toutes les personnes qui ne tenaient pas notre rythme effréné, les plus âgés, les plus fragiles, les plus rêveurs, les moins sérieux. Nous les avons laissés sur le bas côté de la route et avons poursuivi notre chemin vers la gloire et la puissance. Nous nous sommes sélectionnés en fonction de cette marche en avant. Faire, refaire, défaire, refaire, embaucher, licencier, acheter, vendre,… Et subitement, du jour au lendemain, nous voici dans le non-agir. Le non-agir. Bien-sûr, il est toujours possible de faire un peu de télétravail ou d’aider les enfants à faire leurs devoirs, cuisiner de vrais repas et parler au téléphone. Le non-agir est plus discret, plus souterrain, plus invisible. Il consiste à participer à notre vie sans pouvoir la contrôler, à se servir des forces en présence sans pouvoir rajouter notre puissance personnelle, à accompagner ce qui discrètement grandit ou meurt, à accueillir ce qui se présente sans avoir d’emprise. Le non-agir est la curiosité qui a débarqué dans nos vies ces dernières semaines. Cela est déboussolant car cela nous oblige à réviser nos habitudes, nos marques de réussite. Ce que nous valorisions hier ne sert plus à rien et la patience, l’attention, le lâcher prise sont rentrés dans le top 3 des choses essentielles à notre nouvelle vie. Il n’est plus question d’aller vite et de passer en force. Plus question de doubler les autres…il n’y a plus personne à doubler. Voilà, voilà, notre estime de nous-mêmes est donc en chute libre ! A quoi se comparer sans point de comparaison ?

Cher Noé, cher Jonas (11)

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Cher Noé, cher Jonas,

En relisant le texte biblique, je me suis aperçue que le confinement était le moment idéal pour établir une alliance, un pacte, un nouveau contrat, une décision. Dans la Bible, le contrat passé est avec Dieu. Noé, tu acceptes de faire redémarrer l’humanité avec moins de violence. Et pour toi Jonas, c’est un contrat qui dirait, Ok, j’accepte d’aller à Ninive pour leur dire que les bêtises, cela suffit ! J’aime bien cette idée de rapprocher confinement et Alliance. Nous sommes des Adam, il nous faut trouver du sens, il ne faut pas que cette période soit seulement en vue d’échapper à une catastrophe. On ne construit pas une vie humaine en échappant aux catastrophes, on la construit en les traversant. C’est d’ailleurs généralement comme cela que l’on fabrique du sens: en traversant ce que nous aurions rêvé d’ éviter.
Aujourd’hui, 15e jour de confinement, nous avons besoin de masques, de gel, d’un vaccin, de meilleurs films à la télévision gratuite et surtout, nous avons besoin de sens.
Nous avons besoin de cohérence et d’interprétations qui nous tirent vers le Haut, qui nous motivent, nous donnent de l’élan, nous fassent entrevoir que l’avenir sera meilleur que celui que nous avons laissé. Nous avons besoin d’une Alliance renouvellée et cela demande tellement de force et d’attention, qu’il a fallu enfermer la moitié de l’humanité pour la laisser émerger. Incroyable ! Personne n’aurait osé imaginer cela ! Mais en mettant autant d’humains au repos en même temps il ne peut sortir que du radicalement nouveau !

L’humanité a désormais la charge collective de faire émerger une direction, un axe, quelque chose qui empêche d’être à la merci de la première vague et nous permette de tirer profit de ce plan B que nous sommes tous en train d’expérimenter. Le fait que l’eau monte ne peut pas être la seule direction qui dirige nos vies en ce moment. Nous avons besoin de nous délier et de faire alliance. La peur, nous lie, l’angoisse nous laisse pieds et poings liés. L’alliance convoque notre liberté intérieure et nous délivre. De quelle Alliance avons-nous besoin pour que ce temps n’ait pas été vain ? Répondre à cette question, va nous demander un peu de temps.

Cher Noé, cher Jonas (10)

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Cher Noé, cher Jonas,

Un lundi au soleil…Le confinement a été prolongé ! La dessus nous voilà dans le même bateau que vous, sans avoir une date précise pour la fin de notre aventure. Ce flou rajoute quelque chose de singulier à ce que nous vivons. Cela nous met dans l’impossibilité d’anticiper, de s’appuyer sur une date limite, de pouvoir faire un compte à rebours, d’ouvrir notre agenda pour inscrire des événements rassurants. Non. Notre salut ne viendra pas de la maîtrise de notre agenda. Dans ces conditions, il n’est pas possible non plus de faire une crise de milieu de confinement, ce moment où le plus dur est toujours au milieu du séjour. Non, cela ne nous sera pas donné. Quand nous découvrirons la date de notre sortie, nous aurons passé la moitié de notre séjour dans notre arche personnelle. Tout est donc bien bouleversé dans cette crise. Pour tenir, nous devrions inventer une autre façon de compter le temps qui ne serait pas le décompte des jours ou des semaines, faites ou à faire. Il faudrait peut-être compter le temps en nombre de gâteaux au chocolat ou en vélos qui passent dans la rue. Comme les petits que nous sommes en train d’apprendre à redevenir. Pendant qu’on se stresse aux infos, eux, ils s’amusent et ils font confiance. La confiance est le vrai cadran du décompte. Dans le déluge ou sous l’eau, il est invraisemblable d’avoir de l’espoir. L’eau montait jour après jour et allait tout engloutir. Pourtant toi Noé et ta famille avez vécu confinés dans une arche construite par vous-mêmes. Vous n’êtes pas morts de peur. Vous avez cru que cela se terminerait. Et un jour, l’eau a commencé à descendre et l’arche s’est rapprochée du sol. Cela nous arrivera à nous aussi. Un jour, bientôt, l’eau commencera à descendre. La confiance c’est comme une arche. Cela se construit.
À très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (9)

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Dimanche 2. Comment allez-vous ? Comment on fait pour survivre à l’angoisse ? A la peur de mourir noyé ou étouffé ? A la peur de la mort des autres ou de ne plus les revoir? Vous connaissez ce long tunnel qui n’en finit pas ?
Ici, la nouveauté ne vient pas seulement du confinement. Il vient que la mort est devenue le sujet permanent de toutes les informations. Nous n’étions pas habitués. La mort avait totalement disparue ou s’était éloignée très loin, dans des pays en guerre justement. La mort était devenue la part invisible de nos vies ou très privée quand elle venait à concerner nos proches. Pour le reste, il n’y avait que des morts théoriques : le nombre d’SDF en hiver, le nombre d’accidentés de la route depuis le passage au 80km/h, le nombre de morts de la grippe, quelques décès de stars très médiatisés… Des morts qui n’étaient pas exactement ce que nous sommes. Depuis que nous sommes enfermés à la maison sans sortir, les morts ont envahi les hôpitaux et les médias. Un énorme décompte s’est mis en place qui rend compte des malades, des urgences, des décès. Nous assistons passifs à ces chiffres qui nous tombent dessus et nous font peur. Nous voyons des images et des soignants épuisés. C’est peut-être un peu le but d’avoir peur mais le choc est grand entre avant et aujourd’hui. Une peur qui n’est accompagnée que de peu de paroles et que de peu de sens. (Michel Serres, tu nous manques! ) La peur ne peut pas prendre l’espace laissé par nos vies car sinon le virus gagnera ce qu’il n’aura pas tué.
Oui, il s’agit de faire face et de rester vivant. Il s’agit d’être suffisamment en forme pour que le virus s’épuise à notre rencontre, pour que, lui, prenne peur s’il nous trouve sur son chemin. Il s’agit qu’il soit mort de trouille à notre place !
À très bientôt
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (8)

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Cher Noé, cher Jonas

Retour du Shabbat. Shabbat shalom ! Pour vous, deuxième shabbat de ce temps de confinement. Le terme de shabbat est d’ailleurs très à propos aujourd’hui. Shabbat, cela signifie s’arrêter, cesser, interrompre, stopper l’activité, la transformation du monde. C’est exactement ce que fait une énorme partie de l’humanité en ce moment. Nous menions nos vies à toute allure, nous nous agitions dans tous les sens, nous jetions nos vies par la fenêtre quand quelque chose de petit et d’invisible est devenu central dans nos vies. Quelque chose de petit et d’invisible nous a arrêtés. Nous avons laissé en plan tout ce qui était urgent, indispensable, incontournable, nos démarches pro-actives, nos budgets prévisionnels, nos réunions hebdomadaires mais aussi nos querelles, nos rancoeurs, nos jalousies, nos campagnes, nos réformes sur la retraite ou le système de santé, l’avant-première du dernier film, le week-end en 8, les business plan et la réservation pour les vacances de Pâques et nous sommes rentrés à la maison. Depuis nous regardons le monde par la fenêtre en observant avec curiosité quand un être humain passe devant. Ce qui était urgent ne l’est plus. Ce qui était impossible devient envisageable. Ce minuscule virus a réussi ce qu’aucune idée avant lui n’était parvenu à faire. Ce virus nous a remis à notre place. Oui, c’est cela. On s’est fait remettre à notre place ! Et par un virus en plus ! On fait les malins, on croit que le monde est à nous, on pille tout ce qu’on trouve, on est les rois du monde et du pétrole, on rigole du futur et des degrés en plus et, un matin, on se réveille avec interdiction de sortie. Pour quelques semaines. Avec le recul de l’histoire, ce temps sera peut-être considéré comme le moment de la prise de conscience. Ce moment historique où la vie est devenue plus importante que l’économie.
L’humain est plus que lui-même mais il a la capacité d’être mis à terre par un virus, ou un déluge ou par quelques marins qui décident que vous êtes de trop à bord d’un bateau…Il reste à expérimenter ce que c’est que d’être à sa place, bien vivant, dans un monde qui n’est pas parfait mais qui est sur-mesure pour nous. Quelques semaines pour prendre toute sa place, rien que sa place.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

P.S : Des nouvelles de Qohélet ?

Cher Noé, cher Jonas (7)

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Cher Noé, cher Jonas

J’espère que vous allez bien. Ici les jours se suivent avec des changements plus ou moins visibles. Vous pourrez dire à votre copain Qohélet que j’ai des doutes concernant sa phrase « Rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,9). Plus le temps passe, moins je suis d’accord avec elle. Tous les jours se ressemblent mais aucun n’est pareil. Il y a une vraie différence d’un jour à l’autre et cela tient notamment à la versatilité avec laquelle nous nous relions aux choses. Ce qui nous énervait hier nous fait plaisir aujourd’hui, ce qui nous comble aujourd’hui ne vaudra plus rien demain, tout à l’heure peut-être. Nous sommes ballottés d’une émotion à une autre, d’une envie à une autre et nous voguons d’espoir en désespoir, de détente en crispation. Voilà bien le signe que nous sommes vivants puisque tout ce qui vit change, seconde après seconde. Donc si nous prenons le temps d’explorer les centimètres carré de notre confinement, cette phrase n’est pas très pertinente à un niveau personnel. Mais je crois aussi que cette phrase ne veut absolument rien dire dans la période qui est la nôtre. Aujourd’hui tout bouge, tout change : l’ordre du monde, notre vie quotidienne, notre façon de voir la vie. Tout est neuf et inédit. Tout est possible.
Peut-être que la phrase de Qohélet n’est vraie qu’au soleil ? Alors peut-être oui…La nouveauté qui est la nôtre vient de la pluie et de la nuit dans laquelle nous nous trouvons. Tous les commencements se font de nuit. Il faut être dans l’obscurité la plus sombre pour arriver à percevoir une étoile, une étincelle, une façon différente de vivre sa vie, une possibilité de désobéir à ses peurs,… « Tous les grands commencements se font de nuit ». C’est le moment de ne pas se laisser endormir, c’est le moment d’ouvrir les yeux. Sans le vexer, peut-être que cette phrase aurait été meilleure que « rien de nouveau sous le soleil » ?
Je vous laisse décider de ce que vous transmettrez,
bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas

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Cher Noé, cher Jonas (6)

Il a plu toute la nuit. Dehors l’eau monte et continue de monter. Les médias eux-mêmes disent que la décrue n’est pas attendue avant…L’eau monte. Nous voilà engagés dans un drôle de voyage et certains sont sur le pont. Merci à eux. Je continue aujourd’hui à m’interroger sur ce qui nous sert d’abri, de mise en lieu sûr. Hier le confinement, aujourd’hui l’arche et le poisson.
Dans le texte biblique, le mot qui a été traduit par arche en français est le terme tévah . Tévah  signifie une boite, un coffre. C’est le même mot qui est employé pour décrire la caisse dans laquelle Moïse est mis pour échapper à la mort de tous les hébreux voulue par pharaon. C’est cette caisse qui sera posée au bord du Nil et qui sauvera Moïse de la noyade. L’une est en bois, l’autre en osier. L’une a la taille pour accueillir toute une ménagerie, l’autre a l’espace pour un bébé de trois mois. Mais c’est le même mot, ce qui signifie que c’est la même fonction, le même projet qui se poursuit. Aujourd’hui, dans les synagogues séfarades, la tévah désigne le pupitre sur lequel le rouleau de la Torah est posé pour la lecture. Tévah, c’est donc une boîte dans laquelle on met ce qu’on a de plus précieux pour le faire échapper à la mort, au naufrage, pour lui éviter de sombrer ou, tout simplement, pour le mettre en valeur c’est-à-dire pour l’écouter. Il faut une arche pour mettre en lumière ce à quoi on tient. Être confiné dans une tévah, c’est quand même un grand honneur, Noé !
Le lieu du confinement est plus simple. Il s’agit d’un poisson, dag en hébreu, un gros poisson. (Et pas une baleine, ça c’est Pinocchio. Faut-il aussi relire Pinocchio ? )
Effectivement une tévah peut se transformer en galère ! D’où l’importance de travailler sur le projet, le sens, le précieux que nous essayons de sauver personnellement et collectivement. L’eau monte. Il continue de pleuvoir. En face, nous avons la possibilité de nous parler, de nous écrire. Au fait, j’ai oublié de vous dire mais en hébreu tévah a aussi le sens de lettre, de mot. Quand on écrit en hébreu, on écrit avec des boites qui nous permettent de sauver ce à quoi on tient. Le langage entier, la parole est donc une arche dans laquelle il est possible d’habiter !
Voilà de quoi me motiver. Je vous dis à bientôt.
Prenez-soin de vous,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (5)

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Cher Noé, cher Jonas

J9. Repartons sur de bonnes bases et rien de mieux qu’un retour à la lettre, au langage pour poser la réalité. Cela fait plusieurs jours que je me demande quelle est l’étymologie de « confinement ». Aujourd’hui j’ouvre Le Petit Robert, le dico accessible si vous avez des questions d’étymologie. J’ouvre à la page de « confiner ». Le mot date de 1464 et viendrait de « confins » qui lui-même signifie limite, fin. Aller aux confins de la terre, c’est aller jusqu’au bout, jusqu’à la dernière limite. Les confins « parties d’un territoire situées à son extrémité ». Il faut avouer que le terme est extrêmement bien choisi. Le confinement ce n’est pas tant ce qui nous impose de rester dans des limites, c’est ce qui nous pousse à la limite ! Nous sommes donc invités à aller aux confins de notre patience et de notre créativité, aux confins des relations que nous avons avec nos proches, aux confins de nos peurs pour découvrir ce qui s’y trouve. Le confinement aide donc la personne à aller au bout d’elle-même.
Ma curiosité étant sans limite, je regarde le terme qui est sous « confins ». Il s’agit de « confire ». Rien à voir au niveau étymologie mais la proximité a des choses à dire.  Confire : « Conserver (des aliments putrescibles) par des produits appropriés (miel, vinaigre, sel, sucre, graisse,..). » Si je comprends bien ce qu’il s’agit de conserver ce sont nos vies, fragiles, inscrites dans le temps, appelées à vieillir. Toute la question, en ces temps de confinement, c’est dans quoi allons nous les conserver. Je pense qu’il faut éviter la graisse… la douceur du sucre, cela doit faciliter la cohabitation. Le miel aussi et en plus très biblique…Le vinaigre, cela se discute. Il ne faut pas qu’il devienne trop rance ou aigre. On ne va pas sortir de ce temps de retrait en étant aigri. Le sel ? Oui, le sel est une bonne idée car si le sel s’affadit, on n’arrive plus à grand-chose. Cher Noé, cher Jonas : qu’avez-vous choisi ? Peut-être qu’une vie se mesure à l’aliment par lequel on la conserve ?
Avant de refermer mon dictionnaire et pour être tout à fait complète. Sous les termes de « confins », puis de « confire », il y a … »confirmand » .
Demain j’irai voir ce qui se cache derrière l’arche et le poisson,
portez-vous bien !
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (4)

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Cher Noé, cher Jonas,

J7. Aujourd’hui cela fait une semaine. Le temps qu’il faut pour expérimenter chacun des jours de la semaine. Une révolution. A partir de demain, nous commencerons à approfondir notre mise à l’écart. Et c’est vrai que nous avons commencé à apprendre pas mal de choses que nous avions un peu oubliées mais que nous avions apprises étant enfant. On a appris à bien se laver les mains, à mettre des masques sur nos visages, à sortir en ayant une permission, à regarder le monde par la fenêtre, à rêver de ce que nous aimerions faire plus tard, à faire la liste de ce qui nous manque. Voir notre famille, se promener à la plage, faire du vélo ou être en forme demain sont passés en quelques jours en tête de la liste de nos désirs. Ce que nous souhaitons commence à se simplifier. Nous vivons un temps où nous nous remettons à nous ennuyer, rêver, jouer, avoir peur du lendemain, faire attention aux visages des autres. Collectivement, enfermés dedans, nous expérimentons une posture réservée aux enfants et parfois c’est plutôt sympa…Et puis l’instant d’après. Révolte. Rien ne va plus. La situation est insupportable, nous étouffons, nous sommes en colère, nous n’allons pas y arriver. Pas si simple de demander à des adultes de retourner en enfance, de demander des autorisations de sortie du territoire, de voir la vie se dérouler sous leurs yeux sans participer. C’était quand la dernière fois que l’on nous a demandé de rester chez nous et de ne rien faire ?
Aujourd’hui lundi, c’est la fin d’un monde. Demain, mardi, c’est le début d’un nouveau. Cher Noé, cher Jonas, vous êtes bien placés pour savoir que recommencer ou commencer à neuf n’est pas simple. Recréer le monde après le déluge ou aller parler à Ninive après être sorti du poisson, cela requiert quelque chose de profondément enfoui chez la personne. Cela demande d’être un peu pressuré ! Les informations angoissantes venues de l’extérieur n’aident pas. Croyez-moi, estimez vous heureux de ne pas avoir eu la télé !
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (3)

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Cher Noé, cher Jonas,

J6, c’est dimanche. Il serait plus prudent de préciser dimanche 1. De mon côté, les jours de repos sont un peu plus compliqués, comme si on rajoutait du vide au vide. On sait bien que la discipline est la clef de tous les progrès. Si on veut apprendre à jouer d’un instrument, à pratiquer un sport, à écrire, il vaut mieux le faire avec discipline, continuité, en revenant encore et encore au geste, à la technique, au moment favorable. En s’aidant de l’habitude. La spiritualité n’échappe pas à la règle. Il me semble que même si on choisit de ne rien faire, il vaut mieux pratiquer avec discipline. Alors, seulement à cette condition, cela devient un vrai chemin.
Hier j’ai beaucoup réfléchi à la notion de cachette. C’est curieux mais dans le confinement, il n’y a plus de cachettes possibles. Bien-sûr le confinement peut lui-même être perçu comme une cachette, on rentre chez soi et on disparaît à la vue des autres. Mais une fois dedans, il n’y a pas de cachette. Je crois me souvenir qu’Emmanuel Levinas disait quelque chose de similaire concernant la souffrance. « Dans la souffrance, il n’y a pas de refuge. » (Impossible de me souvenir d’où je tiens cette phrase!) Dans le confinement, il n’est plus possible de faire semblant, de jouer à être quelqu’un ou quelque chose. Tous les travers éclatent au grand jour, les petits détails prennent des proportions énormes, les défauts deviennent encore plus voyants, l’ego un colocataire très encombrant. Celui des autres aussi. Le confinement est une mise en lumière incroyable de ce que nous sommes. Je comprends la rapidité avec laquelle, Jonas, tu es arrivé à y voir clair sur ce qui se passait chez toi, pour toi. Quelques heures dans un poisson et impossible de faire le malin très longtemps. « Les personnes qui rendent un culte aux faux dieux perdent toute chance de salut. » (Jn 2,9) Je ne suis même pas sûre qu’il soit ici question de Dieu mais par contre je suis certaine que tu parles de toi et de ce que tu découvres de tes illusions. Peut-être est-ce cela devenir réel ? Comme le ventre d’un poisson, le confinement est une caisse noire. La moindre idée négative, le moindre défaut devient un monstre qui se retrouve en face de soi et qui barre la route. Et comme il n’y a pas de cachette on se retrouve face-à-face. Il faut dire que l’habitude d’éviter les problèmes en partant se cacher vient de loin.
Dans la Bible, le premier à se mettre à l’abri du regard, c’est Adam. Encore lui ! Se cacher dans les arbres, c’est une mauvaise cachette. Surtout l’hiver. Dieu n’a pas eu à chercher longtemps. Quand il a dit : « où es-tu ? », Adam a répondu. Quand on répond, on grille sa cachette. Adam ne le savait peut-être pas ou alors il était naïf. Le jeu s’est arrêté là. J’en tire la conclusion que répondre, c’est sortir de sa cachette et c’est plutôt intéressant à savoir. On peut répondre de soi et c’est le début de la responsabilité, ce qui est peut-être la meilleure arme que nous ayons contre les monstres y compris marins !
Je vous embrasse,
Adiussiatz
Marie-Laure