Cher Noé, cher Jonas (26)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. J. 30. Depuis hier, rien de neuf ! Je constate que la vie est une recherche permanente de stabilité. Au début du confinement, nous avions un peu l’impression d’être bloqués dans un ascenseur et hier, d’être expulsés du nid. Stabilité est donc le mot du jour ! Pour être tout à fait au clair, je suis retournée à mon dictionnaire. Le premier sens à stabilité est «caractère de ce qui tend à demeurer dans le même état ». Si c’est ça, la stabilité n’est pas notre état de vie dans l’Arche. Les émotions vont dans tous les sens tout en étant décuplées. Le second sens date de 1549 et est l’« état d’une construction capable de demeurer dans un équilibre permanent, sans ruptures ni tassements, et de résister à des contraintes normales ». Je me questionne sur la pertinence de cette définition. D’abord, je ne sais pas trop ce que signifie tassements…mais surtout je ne sais pas si nous sommes dans des contraintes normales. Ce que nous vivons est hors norme, cette définition ne peut pas s’appliquer à ce que l’on vit. La troisième date de 1845 et décrit la « Propriété d’un corps de revenir à sa position d’équilibre et de reprendre son mouvement après une modification passagère. » Voilà ! C’est la définition qu’il nous faut. La stabilité est une recherche d’équilibre qui nous permet d’avancer quand on le souhaite. Etre stable ce n’est pas ne pas changer, ne pas tomber, ne pas vaciller mais c’est pouvoir revenir à un équilibre à un moment donné. Stare consiste à tenir, à rester debout malgré les crises et les à-coups. Cela a donné des mots comme étable, stage, station, stabat mater et des verbes comme insister, exister, persister, résister, instaurer. Notre vie est donc une forme de persistance dans ce que l’on croit juste et vrai. Avec le recul, il ne nous restera pas les moments de fuite ou de n’importe quoi. Il restera la ligne que nous aurons choisi de tenir, le cap vers lequel nous voguons. Stabilité, nous voilà !
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (25)

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Cher Noé, cher Jonas

Nous ne sortons pas ! Notre goëland est revenu mais avec une perspective à un mois. Presque sûr ! La sortie est devenue quelque chose de réel, un ancrage dans l’avenir et dans le temps. Du coup, tout aujourd’hui, j’ai promené une sorte de blues de fausse fin de déconfinement. L’être humain est un animal compliqué ! Pour être triste en pleine conscience, j’ai fait la liste de tout ce que je ne ferai pas avant d’être déconfinée et qu’il me faut commencer à accepter pour être prête à sortir quand ce sera le moment. Voilà ma liste :
– atteindre l’Eveil…
– finir le puzzle de 2000 pièces que je n’ai pas encore acheté. (le confinement n’interdit pas l’absurde…)
– lire le tome 2 du livre de Christoph Théobald Le christianisme comme style . Je suis en fait au début du tome 1…
– faire un journal de bord à l’aquarelle
– passer un coup de téléphone à tous ceux que je n’ai pas encore contactés
– écrire un livre. Ou deux.
– finir le mooc sur la permaculture
– ranger le garage
– préparer mes cours pour l’année prochaine dans le but d’avoir, pour une fois, de vraies vacances d’été.
– cuisiner mon premier fraisier
– apprendre les règles du jeu de go

Par contre, j’espère avoir le temps de ranger toute ma bibliothèque et de coudre des masques pour préparer le déconfinement. Voilà les nouvelles…
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (24)

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Cher Noé, cher Jonas

J28. Jamais nous n’aurions pensé tenir autant de temps. Aujourd’hui, c’est encore un grand jour. Un moustique est rentré dans l’Arche et, je vous l’avoue, pose problème. Je n’aurais sûrement pas pu vivre avec tous ces animaux dans le même bateau ! Mais ce n’est pas à cause du moustique que ce jour est particulier. Il semblerait que nous approchions d’un plateau. Les informations qui nous parviennent concernant le nombre de personnes malades semblent plutôt bonnes mais il nous faut les vérifier. Ce soir nous allons lâcher un goéland pour savoir si l’eau commence réellement à baisser. Si le goéland ne revient pas c’est qu’il n’ aura pas pu se poser et nous pourrons envisager de déconfiner prochainement. Merci pour le tuyau, Noé. Nous ferons cela vers 8h.

Cette question du temps qui reste devient de plus en plus préoccupante. L’incertitude concernant les jours à passer encore dans l’Arche commence à peser surtout pour ceux qui manquent de vivres. Mais sans date, toute projection est difficile. C’est une déprise de plus dans un quotidien qui en compte pas mal. Privés d’action, nous aimerions compter, faire une sorte de calendrier de l’Avent qui aboutirait à notre sortie. Mais cela ne nous est pas donné et cette impossibilité de se projeter est une affaire à gérer. Et encore nous avons la chance de vivre dans un espace sécurisé et sécurisant si nos colocataires nous respectent. Pour la plupart d’entre nous, nous habitons un endroit que nous connaissons, qui est le nôtre, que nous avons choisi et tout cela contribue à notre sécurité émotionnelle. Le moment de notre libération est donc la seule variable que nous ne connaissons pas. J’ose à peine imaginer ce que cela doit être d’être kidnappé, incarcéré sans jugement, emprisonné dans des endroits inconnus sans avoir une idée de quoi sera fait l’avenir. Il me semble qu’à côté, notre vie est des plus confortables.
Il nous faut peut-être arrêter de compter ce qui n’est pas simple dans une société qui compte tout : nos années, nos heures travaillées, notre consommation d’électricité, nos contrôles techniques, nos battements de coeur, notre nombre de pas, nos élèves, nos ventes, notre coût, notre espérance de vie. Si nous prenons l’habitude d’arrêter de compter, ce ne sera pas pour la reprendre à la sortie… D’ici demain nous verrons bien si notre goëland revient.
Je vous tiens au courant,
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas

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Cher Noé, cher Jonas,
Nous y voilà. C’est Pâques. Nous allons sortir de quarantaine ! Il nous restera à gérer un confinement. Il fait soleil, les personnes à leur balcon dans l’immeuble d’en face me font penser à des personnes profitant de leur croisière sur un paquebot. Les cloches ne sont pas passées et n’ont pas laissé d’oeufs. C’est dommage car on n’en manque.
Pâques est la fête d’un tombeau trouvé vide. Le corps a disparu. L’histoire qui a bouleversé une grande partie du monde ressemble au début d’un polar. Il aurait été possible de se démener pour trouver des coupables, élaborer des pistes de recherche, faire des analyses scientifiques pour rechercher des indices, interroger des témoins, visionner les caméras de vidéo-surveillance et élaborer un communiqué pour la presse. Mais tout cela aurait été vain. « Le corps a disparu » n’est pas une affirmation policière, scientifique, politique. C’est un constat spirituel. Spirituel, le terme vient de « respirer ». La disparition du corps est une possibilité offerte pour respirer. L’événement nous dit que la mort ne prendra plus toute la place, que ceux qui partent autorisent les vivants à un avenir. L’événement explicite qu’il n’y a pas à relancer la machine en cherchant des coupables. La place est libre pour faire autre chose que se venger ou faire repartir la logique de la haine et du reproche. L’événement nous dit que personne ne sera plus propriétaire du corps. Pas de corps, pas de relique. Le tombeau vide laisse désemparés tous ceux qui voulaient mettre le grappin sur l’histoire de cet homme. Le tombeau est vide, la vie peut reprendre, neuve, forte, différente. Cet espace vide est un cadeau précieux qui met tout le monde à égalité face à l’événement. L’espace libéré rend à chacun sa liberté, son pouvoir de croire, d’agir et d’inventer d’autres façons de vivre.
Joyeuses Pâques
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (22)

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Cher Noé, cher Jonas

J26. Nuit 26 ou nuit 27 tout dépend du décompte. La nuit de tous les changements, la nuit pascale. Jésus, qui s’est fait arrêté à cause de sa liberté et du caractère subversif de son attitude, a fini par en mourir. L’alliance du pouvoir religieux et politique est arrivée à avoir sa peau. Le système établi et le on-fait-comme-d’habitude-et-surtout-on-ne-change-rien ont gagné la partie. Jésus est mort d’avoir cherché à vivre en contournant un règlement intérieur trop peu humain, trop peu spirituel à son goût, d’avoir rencontré trop de petits chefs aux plus hautes places. Les systèmes n’aiment pas les questions, ni les questionneurs. Mis au tombeau par les soignants de l’époque, il ne peut logiquement plus nuire. Tout cela sera bientôt de l’histoire ancienne, un petit agitateur de plus qui a fini de faire le malin. Logiquement. Mais cette nuit n’est pas logique. Ce qui se passe dans le tombeau montre que l’étroitesse n’a pas le dernier mot. En cela il fallait que sa mort soit le jour de la Pâque juive. Cette nuit contredit la mort mais également tout ce qu’il y mène : la jalousie, la peur, l’angoisse des tenants du système, la délation, la trahison, l’enfermement religieux, l’abus du pouvoir politique, la lâcheté. La résurrection ne vient pas juste délivrer de la mort quelqu’un d’exceptionnel. Non. Elle annonce quelque chose qui concerne tout le monde. Ce qui se passe cette nuit dans l’obscurité du tombeau vient contredire tous les systèmes qui pensent mettre la main sur Dieu et sur la liberté des gens. La résurrection montre au grand jour que Jésus a eu raison d’avoir la vie qu’il a eu, de guérir les gens sans autorisation, de les aimer sans frontière, de leur pardonner sans condition, de les rencontrer sans limite, de les croire sans vérifier, de leur faire confiance sans attendre, de les libérer sans caution, de les accompagner sans cotisation, de les nourrir sans ticket, de leur parler de Dieu sans haine, d’annoncer le Royaume sans peur, d’être lui sans fausseté et d’inciter ses disciples à faire de même. C’est tout cela qui devient vrai et juste dans cette nuit de Pâques. C’est ce style de vie qui est reconnu comme celui qui plaît à Dieu, même hors piste, même hors tradition.
Il a été tué. Il n’est plus aux mains de la mort. N’y retombons pas !
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (21)

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Cher Noé, cher Jonas,

J25. Vendredi saint. Nous y sommes. Les chrétiens célèbrent la mort de Jésus au moment où chaque jour nous faisons tous le décompte des morts liés au virus. Apparemment cela ne nous change pas beaucoup. Nous avons l’impression d’être cernés par la disparition, l’absence et les difficultés d’inhumation. La mort de Jésus rejoint toutes ces morts. Les souffrances et le désarroi se rejoignent par le fond. Aujourd’hui c’est un jour pour laisser s’exprimer nos peurs, les souffrances qui nous traversent, le désespoir, la tristesse et les angoisses qui nous habitent. D’une certaine manière, c’est un bon jour. Nous pouvons donner de la place à ce que nous avons du mal à entendre les autres jours. Demain, nous commencerons à remonter vers la lumière. Demain nous pourrons le faire parce que ce soir nous acceptons d’être au fond. Au fond de l’obscurité et de ce qui nous déplaît. Au fond de nos vies. Au fond de situations que personne souhaiterait avoir à vivre. C’est une grand chance de toucher le fond car nous allons pouvoir prendre appui. Au fond, nous ne risquons plus rien de grave.
Ce soir je pense à Joseph d’Arimathée et Nicodème qui enterrent Jésus au moment où tout le monde est parti s’abriter, se cacher, se changer les idées. Eux deux acceptent de rester au fond un plus de temps que les autres pour prendre soin du corps, sans autre espoir que d’enterrer dignement celui dont ils ont apprécié la présence. Cette année, ils me font penser à tous les soignants qui sont en apnée depuis plusieurs semaines.
Merci à vous deux d’avoir accepté de rentrer au fin fond d’une arche, d’une baleine ou d’une obscurité. Merci à tous ceux qui nous ont précédés dans cet enfouissement.
À demain,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (20)

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Cher Noé, cher Jonas,

Aujourd’hui deuxième seder de Pessah pour les Juifs et jeudi saint pour les catholiques et les protestants. Deux repas. Deux moments autour d’une table où il devrait s’agir de se dire des choses importantes avec les personnes en présence. Étonnamment cette année, le calendrier fait coïncider ces deux dates comme dans certains Evangiles où l’on voit Jésus commémorer la sortie d’Egypte, la libération de l’étroitesse, la confiance au Dieu qui fait sortir…Le fait de pouvoir célébrer la libération quelques minutes avant d’être arrêté est un des paradoxes dont l’Evangile a le secret. J’aime cette écriture qui déjoue toute les lectures faciles. J’aime le côté cash avec lequel l’Evangile nous montre que célébrer la libération ne met pas la personne à l’abri de sa vie.
Jésus mange avec ses disciples son dernier repas en se souvenant de l’action de Dieu. Il fait ce qu’il a à faire. Il ne squeeze pas les étapes, il ne marchande pas sa propre libération, il ne remet pas en question la libération passée au vue de la situation actuelle, il a le courage de continuer à s’occuper de ses disciples et à leur enseigner ce que c’est que de vivre. Il reconnaît que dans le passé Dieu a sauvé. Et la gratitude, c’est parfois le maximum qu’une personne puisse faire dans les moments les plus difficiles. Et c’est déjà énorme. Ne pas douter que ce qui a été beau l’a vraiment été, ne pas laisser ses doutes sur le présent envahir la mémoire. Ou l’espoir.
Ces deux repas sont précisément là pour dire l’inverse. Du passé, de l’histoire, de notre histoire nous remontent une confiance, des convictions auxquelles nous avons pu adhérer, l’expérience que nos vies valaient plus que le nombre des années. Ce soir il s’agit de manger en se racontant des histoires pour se rappeler que la vie est plus forte. Il s’agit de faire du sens précisément au moment où rien ne nous y invite si ce n’est la confiance que quelque chose, quelqu’un est à l’oeuvre dans le chaos. Ce soir, il s’agit d’écouter la voix d’une confiance ténue.
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (19)

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Cher Noé, cher Jonas

Ce soir, c’est un grand jour. C’est le premier soir de Pessah, la fête juive qui raconte la sortie d’Egypte, qui permet de la vivre. Bonne fête de Pessah ! C’est le premier moment de festivité de la semaine. Fêter la sortie d’Egypte, fêter la fin de la servitude imposée par Pharaon au moment même où il n’est pas possible ni de sortir de chez soi, ni d’être délivrés du confinement, voilà une situation exceptionnelle. Mais le rituel oblige toujours à être inventif, le rituel demande à être interprété pour en vivre. Alors ce soir, c’est quand même la sortie d’Egypte, ce soir Dieu nous fait sortir de la servitude dans laquelle nous sommes enfermés. En hébreu, le mot pour dire Egypte, est construit sur une racine qui signifie « étroit ». Être en Egypte, c’est être à l’étroit quelque part et ne pas pouvoir en sortir, ne pas pouvoir élargir, espacer, donner de l’air. Ce virus est une Egypte à lui tout seul puisqu’il empêche certaines personnes de respirer. Respirer, c’est donc l’inverse de l’Egypte et Pessah, cela pourrait être ce moment où il nous est proposé de ne plus être coincés dans telle ou telle situation mais, au contraire, de prendre le large. En ce sens, Pessah, ce soir, est quelque chose de possible. Nous sommes tous coincés à un endroit de notre histoire ou de notre personnalité, à l’étroit dans un conditionnement que nous répétons encore et encore quand une situation se présente. Il n’y a pas donc pas besoin d’être confiné pour être en Egypte. Et nous sommes la plupart du temps notre propre Pharaon.
Ce soir, c’est la nuit où nous pouvons désobéir à notre étroitesse. Nous pouvons le faire ensemble. C’est une nuit pour désobéir à ce qui nous oppresse et choisir de lever le camp pour aller s’installer ailleurs, de l’autre côté de la mer pour être sûr de ne pas retomber, de ne pas faire demi-tour, de ne pas être rattrapés , de ne pas participer à notre rétrécissement.
Ce soir, c’est la nuit d’un choix,
Bon Pessah à vous,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (18)

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Cher Noé, cher Jonas,

Aujourd’hui je me permets de vous écrire pour vous partager quelques réflexions. J’ai des doutes sur l’étanchéité de mon arche. D’ordinaire (avant le confinement), il me semble que la distinction privé-public est plutôt bien respectée. Nous ne sommes pas à l’hôpital, nous ne sommes pas spectateurs des personnes qui chaque jour sont intubées, nous n’écoutons pas les soignants dirent combien leur quotidien est difficile. Pourtant, en temps normal, des personnes sont intubées, des soignants vivent chaque jour des situations compliquées mais ils ne le sont pas sous nos yeux. Aujourd’hui, avec toutes les images qui nous arrivent des salles de réanimation et des cercueils dans les ehpad, avec le nombre des morts et les noms des malades célèbres, nous assistons à une intrusion d’un intime qui n’est pas à nous dans notre propre sphère. Ces paroles, ces images rentrent dans nos arches et se mélangent à notre propre intime et, d’une certaine manière, devient le nôtre. Nous sommes alors lourds de toute cette souffrance et cette peine que nous ne pouvons pas porter. En allumant la télé, nous devenons le dépositaire de douleurs personnelles et de problèmes structurels qui n’ont pas eu droit à la parole avant et qui nous arrivent en bloc, en pleine face, dans un moment où nous ne sommes pas en position de force. Une arche trop lourde peut-elle avoir du mal à flotter ? Avez-vous survécu à cette épreuve parce que les parois entre ce qui était à vous et ce qui ne l’était pas étaient étanches ? Aujourd’hui je suis responsable de l’intime qui est à moi, les émotions qui envahissent ma sphère privée, mes doutes, les hauts et les bas qui surgissent dans mon arche. Cela me prend beaucoup d’énergie et de présence. Chacun a la force de gérer sa propre intimité quand il n’est pas systématiquement obligé de prendre l’intimité des autres. Dans le confinement, toutes les intrusions sont dangereuses.
Dedans, dehors. C’est vraiment une question stratégique dans les temps qui sont les nôtres.
je vous embrasse,
à très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (17)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Aujourd’hui cela fait 21 jours, le temps d’une cure, d’un traitement,…Oui, il y a une forme de soin à ce que l’on vit. Nous repartons pour au moins une cure de plus, un temps de plus pour travailler en profondeur. Quelque chose dans l’atmosphère a changé, comme si nous avions moins peur. Peut-on s’habituer à la catastrophe ? L’être humain est le plus adaptable de tous les mammifères, il est le moins programmé, le moins obéissant à ses habitudes, à sa mémoire. Michel Serres avait l’habitude de dire que c’est précisément cela qui définissait l’être humain. Cette capacité à être plus que lui-même mais à l’être parce qu’en ayant la capacité de désobéir à ce qui était programmé pour lui. L’être humain est donc adaptable, modulable, inventif,…Il peut vivre dans une fusée, un sous-marin, un arbre, un igloo, passer des heures dans un avion ou un canoé-kayak, une cellule, une arche ou un gros poisson et faire quelque chose d’intéressant de sa vie. Nous nous habituons à cette nouvelle vie même si c’est dur, avec des grands moments de ras-le-bol. Nous avons mis de la distance, nous ne nous faisons plus la bise, nous sommes obéissants aux consignes et désobéissants à nos habitudes. Demain nous porterons des masques et nous nous y habituerons. L’être humain est incroyable dans ce qu’il accepte, ce à quoi il se soumet de lui-même. C’est peut-être là la clé. Ce « se » qui change tout. « Se » soumettre, « se » raisonner, « se » contrôler, « se » rassurer, « se » calmer, « se » confiner. C’est ce petit mot de deux lettres qui fait que l’être humain est libre de choisir la vie et celle des autres. Je suis heureuse de ces deux lettres que nous partageons et qui font que chaque personne participe à son existence.
Je vous embrasse,
A bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (16)

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Cher Noé, cher Jonas,
Je vous écris, nous sommes dimanche. Un beau jour de soleil. Il n’est pas facile d’écrire un jour de soleil, l’esprit s’envole, s’échappe, se déconfine. Apparemment les personnes que je vois passer dans la rue ont eu la même idée que mon esprit. Cette semaine, les Juifs fêteront Pessah, Pâque et les chrétiens fêteront Pâques. La semaine qui nous attend est une semaine de libération, d’ouverture, de sortie de ce qui enferme, d’une désobéissance à la servitude et à la mort. La semaine qui arrive s’annonce passionnante, paradoxale, surprenante, contradictoire. Déconfinés, nous allons fêter un déconfinement. Va-t-il nous falloir un effort supplémentaire pour y arriver ou bien cela sera-t-il facile cette année ? Dans tous les cas, il faudra accepter de pratiquer une ouverture pour laisser passer quelque chose qui viendra d’ailleurs que de nos fermetures. Faudra-t-il un laisser-passer pour cela ? Cette année nous allons faire la fête comme des prisonniers, des personnes hospitalisées et des personnes âgées en Ehpad.
Aujourd’hui, il fait soleil. Mon corps est confiné mais mon esprit se promène. Aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait confinée. C’est bien aussi.
Je vous embrasse,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (15),

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Cher Noé, cher Jonas,

Shabbat shalom. J’espère que vous allez bien. J’aimerais savoir ce que vous pensez de nous, de nos gesticulations, de nos impatiences. Le virus a eu le mérite de rendre visible l’invisible ce qui est rare à un niveau personnel et qui l’est encore plus à un niveau collectif. Il a rendu visibles nos dysfonctionnements, nos faiblesses collectives et personnelles, nos points forts. Le virus a rendu visibles les caissières, les infirmières, les éboueurs, le travail et la patience des profs et toutes ces personnes qui font tout pour nous maintenir à flot. Il a rendu visibles les oiseaux qui nous entourent, les insectes, le ciel, l’arbre planté en face de notre bureau, l’importance de ce souffle qui traverse notre corps seconde après seconde. Le virus a rendu visible notre fatigue, nos colères, le manque de connaissance des personnes avec qui nous vivons. Il a rendu visibles nos faiblesses morales, notre rôle de spectateur dans le domaine spirituel, notre manque d’autonomie, nos addictions, notre manque de maturité relationnelle. Le virus a rendu visible l’invisible et toutes les qualités discrètes qui sont devenues vitales pour que la cohabitation se passe bien. Il a rendu visibles nos solidarités, notre créativité, la générosité de tous ceux qui partagent quelque chose.
Un virus invisible est venu recolorier notre monde, mettre du relief, effacer l’épaisseur de certains traits, rajouter des dimensions à notre vie et rendre visible tout ce qui était transparent à nos propres yeux. Il a rendu visible que nous avions besoin des autres, d’une famille, d’amis, de collègues, de sens, de relations.
Au sens strict ce virus est un révélateur. Voilà, nous aussi nous sommes en train de vivre un temps de révélation.
Qu’allons-nous faire de tout ce qui a disparu ? Qu’allons-nous faire de tout ce qui apparaît dans nos vies ? Aujourd’hui cette question me semble cruciale…Demeurer présents au dévoilement.
Merci pour votre présence,
bonne fin de shabbat
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (14)

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Cher Noé, cher Jonas

Comment allez-vous ? Ici, c’est (déjà) la fin de la semaine et j’avoue que je suis un peu fatiguée. A force de faire de l’arche un lieu de co-working le confinement se transforme en forum permanent. Nous sommes donc bien reliés et ce virus nous le prouve encore et encore. Qu’une seule personne au fin fond de la Chine ait pu contaminer la terre entière rend réel notre interdépendance. L’humanité est un seul organisme vivant et ce qui la touche d’un côté à des répercussions de l’autre que l’on s’en rende compte ou pas, qu’on le veuille ou non. Nous le savions pour le cours du pétrole, nous le découvrons pour la maladie. Nous ne sommes peut-être pas encore assez mûrs pour en faire quelque chose de constructif.
Pour en revenir au confinement et à l’espace de co-working, il me semble un peu bizarre de commencer à réfléchir à un déconfinement qui n’est pas pour demain. A vouloir y être trop tôt, nous nous préparons des lendemains compliqués. Non, nous ne sommes pas prêts d’être libres (physiquement) et il vaudrait mieux réfléchir à la meilleure manière de rendre l’arche vivable. Cette volonté de vouloir passer à autre chose, vite, de l’espérer encore plus vite est à la fois tellement humaine et tellement risquée. Ce serait vouloir arriver à Pâques sans passer par le jeudi saint. C’est cette attitude qui nous mène contre le mur en temps normal et cela risque de produire les mêmes effets dans l’arche. Nous allons nous cogner au réel si nous n’acceptons pas le temps qui est le nôtre, ce présent compliqué et indocile. Donc oui, nous sommes confinés. Non, c’est pas demain qu’on sort. Oui, c’est dur. Oui, j’aimerais aussi être ailleurs. Mais oui, je préfère m’habituer à vivre dans l’arche qu’imaginer en sortir demain et me prendre un mur. Ce sera une bonne surprise quand nous y arriverons.
Sur ce à bientôt
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (13)

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Cher Noé, cher Jonas,

Notre connaissance du confinement progresse de jour en jour…Aujourd’hui j’étais sensible aux variations de l’espace dans mon arche personnelle. C’est étonnant comment la perception de l’espace peut varier en fonction de notre état d’esprit. Étouffer dans un environnement étroit quand le moral est en baisse, respirer et ressentir une grande place quand une bouffée de sérénité traverse notre esprit. L’arche grandit et rétrécit en fonction de notre humeur. Notre ego, nos peurs, nos espoirs, nos craintes, tout ce qui nous traverse fonctionne comme notre arche. Peut-être que notre esprit lui-même est une arche dans lequel nous abritons tout ce que nous vivons. L’autre jour, l’idée m’est venue que notre vie était peut-être une sorte de confinement duquel nous sortons à notre mort. C’est une drôle d’idée mais qui m’a rendu la journée intéressante. J’aime bien imaginer que la liberté que nous croyons être totale en temps normal pourrait n’être qu’une inscription dans des limites étroites : notre corps, notre histoire, nos gênes, nos souvenirs. Tout cela nous confine et fait que cette vie est la nôtre. Il ne nous viendra pas à l’idée de nous sentir enfermés. Nous n’avons pas mal vécu le confinement de 9 mois dans le ventre de notre mère. Nous aimons notre confinement dans cette vie et nous nous révoltons dès que l’espace se rétrécit. Nous nous tenons chauds dans nos vies respectives. Le confinement est donc une affaire de points de vue, de liberté imaginée ou retrouvée, d’attente d’autre chose ou pas, de lassitude ou de gratitude.
Jonas, je comprends maintenant que tu ais été avalé par un grand poisson. Je pense en fait qu’au départ le poisson qui t’a avalé était petit. Mais au fur et à mesure de tes prises de conscience à l’intérieur du poisson, l’espace s’est élargi et le poisson a grandi. Sans fausse modestie, qu’en penses-tu ?
J’espère que toutes ces lettres ne vous ennuient pas trop,
merci de votre soutien,
See you
Marie-Laure