Cher Noé, cher Jonas (21)

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Cher Noé, cher Jonas,

J25. Vendredi saint. Nous y sommes. Les chrétiens célèbrent la mort de Jésus au moment où chaque jour nous faisons tous le décompte des morts liés au virus. Apparemment cela ne nous change pas beaucoup. Nous avons l’impression d’être cernés par la disparition, l’absence et les difficultés d’inhumation. La mort de Jésus rejoint toutes ces morts. Les souffrances et le désarroi se rejoignent par le fond. Aujourd’hui c’est un jour pour laisser s’exprimer nos peurs, les souffrances qui nous traversent, le désespoir, la tristesse et les angoisses qui nous habitent. D’une certaine manière, c’est un bon jour. Nous pouvons donner de la place à ce que nous avons du mal à entendre les autres jours. Demain, nous commencerons à remonter vers la lumière. Demain nous pourrons le faire parce que ce soir nous acceptons d’être au fond. Au fond de l’obscurité et de ce qui nous déplaît. Au fond de nos vies. Au fond de situations que personne souhaiterait avoir à vivre. C’est une grand chance de toucher le fond car nous allons pouvoir prendre appui. Au fond, nous ne risquons plus rien de grave.
Ce soir je pense à Joseph d’Arimathée et Nicodème qui enterrent Jésus au moment où tout le monde est parti s’abriter, se cacher, se changer les idées. Eux deux acceptent de rester au fond un plus de temps que les autres pour prendre soin du corps, sans autre espoir que d’enterrer dignement celui dont ils ont apprécié la présence. Cette année, ils me font penser à tous les soignants qui sont en apnée depuis plusieurs semaines.
Merci à vous deux d’avoir accepté de rentrer au fin fond d’une arche, d’une baleine ou d’une obscurité. Merci à tous ceux qui nous ont précédés dans cet enfouissement.
À demain,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (20)

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Cher Noé, cher Jonas,

Aujourd’hui deuxième seder de Pessah pour les Juifs et jeudi saint pour les catholiques et les protestants. Deux repas. Deux moments autour d’une table où il devrait s’agir de se dire des choses importantes avec les personnes en présence. Étonnamment cette année, le calendrier fait coïncider ces deux dates comme dans certains Evangiles où l’on voit Jésus commémorer la sortie d’Egypte, la libération de l’étroitesse, la confiance au Dieu qui fait sortir…Le fait de pouvoir célébrer la libération quelques minutes avant d’être arrêté est un des paradoxes dont l’Evangile a le secret. J’aime cette écriture qui déjoue toute les lectures faciles. J’aime le côté cash avec lequel l’Evangile nous montre que célébrer la libération ne met pas la personne à l’abri de sa vie.
Jésus mange avec ses disciples son dernier repas en se souvenant de l’action de Dieu. Il fait ce qu’il a à faire. Il ne squeeze pas les étapes, il ne marchande pas sa propre libération, il ne remet pas en question la libération passée au vue de la situation actuelle, il a le courage de continuer à s’occuper de ses disciples et à leur enseigner ce que c’est que de vivre. Il reconnaît que dans le passé Dieu a sauvé. Et la gratitude, c’est parfois le maximum qu’une personne puisse faire dans les moments les plus difficiles. Et c’est déjà énorme. Ne pas douter que ce qui a été beau l’a vraiment été, ne pas laisser ses doutes sur le présent envahir la mémoire. Ou l’espoir.
Ces deux repas sont précisément là pour dire l’inverse. Du passé, de l’histoire, de notre histoire nous remontent une confiance, des convictions auxquelles nous avons pu adhérer, l’expérience que nos vies valaient plus que le nombre des années. Ce soir il s’agit de manger en se racontant des histoires pour se rappeler que la vie est plus forte. Il s’agit de faire du sens précisément au moment où rien ne nous y invite si ce n’est la confiance que quelque chose, quelqu’un est à l’oeuvre dans le chaos. Ce soir, il s’agit d’écouter la voix d’une confiance ténue.
Je vous embrasse
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (19)

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Cher Noé, cher Jonas

Ce soir, c’est un grand jour. C’est le premier soir de Pessah, la fête juive qui raconte la sortie d’Egypte, qui permet de la vivre. Bonne fête de Pessah ! C’est le premier moment de festivité de la semaine. Fêter la sortie d’Egypte, fêter la fin de la servitude imposée par Pharaon au moment même où il n’est pas possible ni de sortir de chez soi, ni d’être délivrés du confinement, voilà une situation exceptionnelle. Mais le rituel oblige toujours à être inventif, le rituel demande à être interprété pour en vivre. Alors ce soir, c’est quand même la sortie d’Egypte, ce soir Dieu nous fait sortir de la servitude dans laquelle nous sommes enfermés. En hébreu, le mot pour dire Egypte, est construit sur une racine qui signifie « étroit ». Être en Egypte, c’est être à l’étroit quelque part et ne pas pouvoir en sortir, ne pas pouvoir élargir, espacer, donner de l’air. Ce virus est une Egypte à lui tout seul puisqu’il empêche certaines personnes de respirer. Respirer, c’est donc l’inverse de l’Egypte et Pessah, cela pourrait être ce moment où il nous est proposé de ne plus être coincés dans telle ou telle situation mais, au contraire, de prendre le large. En ce sens, Pessah, ce soir, est quelque chose de possible. Nous sommes tous coincés à un endroit de notre histoire ou de notre personnalité, à l’étroit dans un conditionnement que nous répétons encore et encore quand une situation se présente. Il n’y a pas donc pas besoin d’être confiné pour être en Egypte. Et nous sommes la plupart du temps notre propre Pharaon.
Ce soir, c’est la nuit où nous pouvons désobéir à notre étroitesse. Nous pouvons le faire ensemble. C’est une nuit pour désobéir à ce qui nous oppresse et choisir de lever le camp pour aller s’installer ailleurs, de l’autre côté de la mer pour être sûr de ne pas retomber, de ne pas faire demi-tour, de ne pas être rattrapés , de ne pas participer à notre rétrécissement.
Ce soir, c’est la nuit d’un choix,
Bon Pessah à vous,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (18)

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Cher Noé, cher Jonas,

Aujourd’hui je me permets de vous écrire pour vous partager quelques réflexions. J’ai des doutes sur l’étanchéité de mon arche. D’ordinaire (avant le confinement), il me semble que la distinction privé-public est plutôt bien respectée. Nous ne sommes pas à l’hôpital, nous ne sommes pas spectateurs des personnes qui chaque jour sont intubées, nous n’écoutons pas les soignants dirent combien leur quotidien est difficile. Pourtant, en temps normal, des personnes sont intubées, des soignants vivent chaque jour des situations compliquées mais ils ne le sont pas sous nos yeux. Aujourd’hui, avec toutes les images qui nous arrivent des salles de réanimation et des cercueils dans les ehpad, avec le nombre des morts et les noms des malades célèbres, nous assistons à une intrusion d’un intime qui n’est pas à nous dans notre propre sphère. Ces paroles, ces images rentrent dans nos arches et se mélangent à notre propre intime et, d’une certaine manière, devient le nôtre. Nous sommes alors lourds de toute cette souffrance et cette peine que nous ne pouvons pas porter. En allumant la télé, nous devenons le dépositaire de douleurs personnelles et de problèmes structurels qui n’ont pas eu droit à la parole avant et qui nous arrivent en bloc, en pleine face, dans un moment où nous ne sommes pas en position de force. Une arche trop lourde peut-elle avoir du mal à flotter ? Avez-vous survécu à cette épreuve parce que les parois entre ce qui était à vous et ce qui ne l’était pas étaient étanches ? Aujourd’hui je suis responsable de l’intime qui est à moi, les émotions qui envahissent ma sphère privée, mes doutes, les hauts et les bas qui surgissent dans mon arche. Cela me prend beaucoup d’énergie et de présence. Chacun a la force de gérer sa propre intimité quand il n’est pas systématiquement obligé de prendre l’intimité des autres. Dans le confinement, toutes les intrusions sont dangereuses.
Dedans, dehors. C’est vraiment une question stratégique dans les temps qui sont les nôtres.
je vous embrasse,
à très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (17)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Aujourd’hui cela fait 21 jours, le temps d’une cure, d’un traitement,…Oui, il y a une forme de soin à ce que l’on vit. Nous repartons pour au moins une cure de plus, un temps de plus pour travailler en profondeur. Quelque chose dans l’atmosphère a changé, comme si nous avions moins peur. Peut-on s’habituer à la catastrophe ? L’être humain est le plus adaptable de tous les mammifères, il est le moins programmé, le moins obéissant à ses habitudes, à sa mémoire. Michel Serres avait l’habitude de dire que c’est précisément cela qui définissait l’être humain. Cette capacité à être plus que lui-même mais à l’être parce qu’en ayant la capacité de désobéir à ce qui était programmé pour lui. L’être humain est donc adaptable, modulable, inventif,…Il peut vivre dans une fusée, un sous-marin, un arbre, un igloo, passer des heures dans un avion ou un canoé-kayak, une cellule, une arche ou un gros poisson et faire quelque chose d’intéressant de sa vie. Nous nous habituons à cette nouvelle vie même si c’est dur, avec des grands moments de ras-le-bol. Nous avons mis de la distance, nous ne nous faisons plus la bise, nous sommes obéissants aux consignes et désobéissants à nos habitudes. Demain nous porterons des masques et nous nous y habituerons. L’être humain est incroyable dans ce qu’il accepte, ce à quoi il se soumet de lui-même. C’est peut-être là la clé. Ce « se » qui change tout. « Se » soumettre, « se » raisonner, « se » contrôler, « se » rassurer, « se » calmer, « se » confiner. C’est ce petit mot de deux lettres qui fait que l’être humain est libre de choisir la vie et celle des autres. Je suis heureuse de ces deux lettres que nous partageons et qui font que chaque personne participe à son existence.
Je vous embrasse,
A bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (16)

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Cher Noé, cher Jonas,
Je vous écris, nous sommes dimanche. Un beau jour de soleil. Il n’est pas facile d’écrire un jour de soleil, l’esprit s’envole, s’échappe, se déconfine. Apparemment les personnes que je vois passer dans la rue ont eu la même idée que mon esprit. Cette semaine, les Juifs fêteront Pessah, Pâque et les chrétiens fêteront Pâques. La semaine qui nous attend est une semaine de libération, d’ouverture, de sortie de ce qui enferme, d’une désobéissance à la servitude et à la mort. La semaine qui arrive s’annonce passionnante, paradoxale, surprenante, contradictoire. Déconfinés, nous allons fêter un déconfinement. Va-t-il nous falloir un effort supplémentaire pour y arriver ou bien cela sera-t-il facile cette année ? Dans tous les cas, il faudra accepter de pratiquer une ouverture pour laisser passer quelque chose qui viendra d’ailleurs que de nos fermetures. Faudra-t-il un laisser-passer pour cela ? Cette année nous allons faire la fête comme des prisonniers, des personnes hospitalisées et des personnes âgées en Ehpad.
Aujourd’hui, il fait soleil. Mon corps est confiné mais mon esprit se promène. Aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait confinée. C’est bien aussi.
Je vous embrasse,
à bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (15),

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Cher Noé, cher Jonas,

Shabbat shalom. J’espère que vous allez bien. J’aimerais savoir ce que vous pensez de nous, de nos gesticulations, de nos impatiences. Le virus a eu le mérite de rendre visible l’invisible ce qui est rare à un niveau personnel et qui l’est encore plus à un niveau collectif. Il a rendu visibles nos dysfonctionnements, nos faiblesses collectives et personnelles, nos points forts. Le virus a rendu visibles les caissières, les infirmières, les éboueurs, le travail et la patience des profs et toutes ces personnes qui font tout pour nous maintenir à flot. Il a rendu visibles les oiseaux qui nous entourent, les insectes, le ciel, l’arbre planté en face de notre bureau, l’importance de ce souffle qui traverse notre corps seconde après seconde. Le virus a rendu visible notre fatigue, nos colères, le manque de connaissance des personnes avec qui nous vivons. Il a rendu visibles nos faiblesses morales, notre rôle de spectateur dans le domaine spirituel, notre manque d’autonomie, nos addictions, notre manque de maturité relationnelle. Le virus a rendu visible l’invisible et toutes les qualités discrètes qui sont devenues vitales pour que la cohabitation se passe bien. Il a rendu visibles nos solidarités, notre créativité, la générosité de tous ceux qui partagent quelque chose.
Un virus invisible est venu recolorier notre monde, mettre du relief, effacer l’épaisseur de certains traits, rajouter des dimensions à notre vie et rendre visible tout ce qui était transparent à nos propres yeux. Il a rendu visible que nous avions besoin des autres, d’une famille, d’amis, de collègues, de sens, de relations.
Au sens strict ce virus est un révélateur. Voilà, nous aussi nous sommes en train de vivre un temps de révélation.
Qu’allons-nous faire de tout ce qui a disparu ? Qu’allons-nous faire de tout ce qui apparaît dans nos vies ? Aujourd’hui cette question me semble cruciale…Demeurer présents au dévoilement.
Merci pour votre présence,
bonne fin de shabbat
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (14)

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Cher Noé, cher Jonas

Comment allez-vous ? Ici, c’est (déjà) la fin de la semaine et j’avoue que je suis un peu fatiguée. A force de faire de l’arche un lieu de co-working le confinement se transforme en forum permanent. Nous sommes donc bien reliés et ce virus nous le prouve encore et encore. Qu’une seule personne au fin fond de la Chine ait pu contaminer la terre entière rend réel notre interdépendance. L’humanité est un seul organisme vivant et ce qui la touche d’un côté à des répercussions de l’autre que l’on s’en rende compte ou pas, qu’on le veuille ou non. Nous le savions pour le cours du pétrole, nous le découvrons pour la maladie. Nous ne sommes peut-être pas encore assez mûrs pour en faire quelque chose de constructif.
Pour en revenir au confinement et à l’espace de co-working, il me semble un peu bizarre de commencer à réfléchir à un déconfinement qui n’est pas pour demain. A vouloir y être trop tôt, nous nous préparons des lendemains compliqués. Non, nous ne sommes pas prêts d’être libres (physiquement) et il vaudrait mieux réfléchir à la meilleure manière de rendre l’arche vivable. Cette volonté de vouloir passer à autre chose, vite, de l’espérer encore plus vite est à la fois tellement humaine et tellement risquée. Ce serait vouloir arriver à Pâques sans passer par le jeudi saint. C’est cette attitude qui nous mène contre le mur en temps normal et cela risque de produire les mêmes effets dans l’arche. Nous allons nous cogner au réel si nous n’acceptons pas le temps qui est le nôtre, ce présent compliqué et indocile. Donc oui, nous sommes confinés. Non, c’est pas demain qu’on sort. Oui, c’est dur. Oui, j’aimerais aussi être ailleurs. Mais oui, je préfère m’habituer à vivre dans l’arche qu’imaginer en sortir demain et me prendre un mur. Ce sera une bonne surprise quand nous y arriverons.
Sur ce à bientôt
Je vous embrasse,
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (13)

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Cher Noé, cher Jonas,

Notre connaissance du confinement progresse de jour en jour…Aujourd’hui j’étais sensible aux variations de l’espace dans mon arche personnelle. C’est étonnant comment la perception de l’espace peut varier en fonction de notre état d’esprit. Étouffer dans un environnement étroit quand le moral est en baisse, respirer et ressentir une grande place quand une bouffée de sérénité traverse notre esprit. L’arche grandit et rétrécit en fonction de notre humeur. Notre ego, nos peurs, nos espoirs, nos craintes, tout ce qui nous traverse fonctionne comme notre arche. Peut-être que notre esprit lui-même est une arche dans lequel nous abritons tout ce que nous vivons. L’autre jour, l’idée m’est venue que notre vie était peut-être une sorte de confinement duquel nous sortons à notre mort. C’est une drôle d’idée mais qui m’a rendu la journée intéressante. J’aime bien imaginer que la liberté que nous croyons être totale en temps normal pourrait n’être qu’une inscription dans des limites étroites : notre corps, notre histoire, nos gênes, nos souvenirs. Tout cela nous confine et fait que cette vie est la nôtre. Il ne nous viendra pas à l’idée de nous sentir enfermés. Nous n’avons pas mal vécu le confinement de 9 mois dans le ventre de notre mère. Nous aimons notre confinement dans cette vie et nous nous révoltons dès que l’espace se rétrécit. Nous nous tenons chauds dans nos vies respectives. Le confinement est donc une affaire de points de vue, de liberté imaginée ou retrouvée, d’attente d’autre chose ou pas, de lassitude ou de gratitude.
Jonas, je comprends maintenant que tu ais été avalé par un grand poisson. Je pense en fait qu’au départ le poisson qui t’a avalé était petit. Mais au fur et à mesure de tes prises de conscience à l’intérieur du poisson, l’espace s’est élargi et le poisson a grandi. Sans fausse modestie, qu’en penses-tu ?
J’espère que toutes ces lettres ne vous ennuient pas trop,
merci de votre soutien,
See you
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (12)

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Cher Noé, cher Jonas,

J’espère que vous allez bien. Les jours se suivent avec leurs lots de haut et de bas, de moments d’espoir et d’anxiété. Ce yo-yo est décuplé par le fait que nous sommes encouragés à rester dedans et à …ne rien faire. Or, nous avons grandi dans l’idée de transformer le monde, d’y mettre toute notre énergie, toute notre volonté. Pour cela, nous avons progressivement laissé de côté toutes les personnes qui ne tenaient pas notre rythme effréné, les plus âgés, les plus fragiles, les plus rêveurs, les moins sérieux. Nous les avons laissés sur le bas côté de la route et avons poursuivi notre chemin vers la gloire et la puissance. Nous nous sommes sélectionnés en fonction de cette marche en avant. Faire, refaire, défaire, refaire, embaucher, licencier, acheter, vendre,… Et subitement, du jour au lendemain, nous voici dans le non-agir. Le non-agir. Bien-sûr, il est toujours possible de faire un peu de télétravail ou d’aider les enfants à faire leurs devoirs, cuisiner de vrais repas et parler au téléphone. Le non-agir est plus discret, plus souterrain, plus invisible. Il consiste à participer à notre vie sans pouvoir la contrôler, à se servir des forces en présence sans pouvoir rajouter notre puissance personnelle, à accompagner ce qui discrètement grandit ou meurt, à accueillir ce qui se présente sans avoir d’emprise. Le non-agir est la curiosité qui a débarqué dans nos vies ces dernières semaines. Cela est déboussolant car cela nous oblige à réviser nos habitudes, nos marques de réussite. Ce que nous valorisions hier ne sert plus à rien et la patience, l’attention, le lâcher prise sont rentrés dans le top 3 des choses essentielles à notre nouvelle vie. Il n’est plus question d’aller vite et de passer en force. Plus question de doubler les autres…il n’y a plus personne à doubler. Voilà, voilà, notre estime de nous-mêmes est donc en chute libre ! A quoi se comparer sans point de comparaison ?

Cher Noé, cher Jonas (11)

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Cher Noé, cher Jonas,

En relisant le texte biblique, je me suis aperçue que le confinement était le moment idéal pour établir une alliance, un pacte, un nouveau contrat, une décision. Dans la Bible, le contrat passé est avec Dieu. Noé, tu acceptes de faire redémarrer l’humanité avec moins de violence. Et pour toi Jonas, c’est un contrat qui dirait, Ok, j’accepte d’aller à Ninive pour leur dire que les bêtises, cela suffit ! J’aime bien cette idée de rapprocher confinement et Alliance. Nous sommes des Adam, il nous faut trouver du sens, il ne faut pas que cette période soit seulement en vue d’échapper à une catastrophe. On ne construit pas une vie humaine en échappant aux catastrophes, on la construit en les traversant. C’est d’ailleurs généralement comme cela que l’on fabrique du sens: en traversant ce que nous aurions rêvé d’ éviter.
Aujourd’hui, 15e jour de confinement, nous avons besoin de masques, de gel, d’un vaccin, de meilleurs films à la télévision gratuite et surtout, nous avons besoin de sens.
Nous avons besoin de cohérence et d’interprétations qui nous tirent vers le Haut, qui nous motivent, nous donnent de l’élan, nous fassent entrevoir que l’avenir sera meilleur que celui que nous avons laissé. Nous avons besoin d’une Alliance renouvellée et cela demande tellement de force et d’attention, qu’il a fallu enfermer la moitié de l’humanité pour la laisser émerger. Incroyable ! Personne n’aurait osé imaginer cela ! Mais en mettant autant d’humains au repos en même temps il ne peut sortir que du radicalement nouveau !

L’humanité a désormais la charge collective de faire émerger une direction, un axe, quelque chose qui empêche d’être à la merci de la première vague et nous permette de tirer profit de ce plan B que nous sommes tous en train d’expérimenter. Le fait que l’eau monte ne peut pas être la seule direction qui dirige nos vies en ce moment. Nous avons besoin de nous délier et de faire alliance. La peur, nous lie, l’angoisse nous laisse pieds et poings liés. L’alliance convoque notre liberté intérieure et nous délivre. De quelle Alliance avons-nous besoin pour que ce temps n’ait pas été vain ? Répondre à cette question, va nous demander un peu de temps.

Cher Noé, cher Jonas (10)

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Cher Noé, cher Jonas,

Un lundi au soleil…Le confinement a été prolongé ! La dessus nous voilà dans le même bateau que vous, sans avoir une date précise pour la fin de notre aventure. Ce flou rajoute quelque chose de singulier à ce que nous vivons. Cela nous met dans l’impossibilité d’anticiper, de s’appuyer sur une date limite, de pouvoir faire un compte à rebours, d’ouvrir notre agenda pour inscrire des événements rassurants. Non. Notre salut ne viendra pas de la maîtrise de notre agenda. Dans ces conditions, il n’est pas possible non plus de faire une crise de milieu de confinement, ce moment où le plus dur est toujours au milieu du séjour. Non, cela ne nous sera pas donné. Quand nous découvrirons la date de notre sortie, nous aurons passé la moitié de notre séjour dans notre arche personnelle. Tout est donc bien bouleversé dans cette crise. Pour tenir, nous devrions inventer une autre façon de compter le temps qui ne serait pas le décompte des jours ou des semaines, faites ou à faire. Il faudrait peut-être compter le temps en nombre de gâteaux au chocolat ou en vélos qui passent dans la rue. Comme les petits que nous sommes en train d’apprendre à redevenir. Pendant qu’on se stresse aux infos, eux, ils s’amusent et ils font confiance. La confiance est le vrai cadran du décompte. Dans le déluge ou sous l’eau, il est invraisemblable d’avoir de l’espoir. L’eau montait jour après jour et allait tout engloutir. Pourtant toi Noé et ta famille avez vécu confinés dans une arche construite par vous-mêmes. Vous n’êtes pas morts de peur. Vous avez cru que cela se terminerait. Et un jour, l’eau a commencé à descendre et l’arche s’est rapprochée du sol. Cela nous arrivera à nous aussi. Un jour, bientôt, l’eau commencera à descendre. La confiance c’est comme une arche. Cela se construit.
À très bientôt
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (9)

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Dimanche 2. Comment allez-vous ? Comment on fait pour survivre à l’angoisse ? A la peur de mourir noyé ou étouffé ? A la peur de la mort des autres ou de ne plus les revoir? Vous connaissez ce long tunnel qui n’en finit pas ?
Ici, la nouveauté ne vient pas seulement du confinement. Il vient que la mort est devenue le sujet permanent de toutes les informations. Nous n’étions pas habitués. La mort avait totalement disparue ou s’était éloignée très loin, dans des pays en guerre justement. La mort était devenue la part invisible de nos vies ou très privée quand elle venait à concerner nos proches. Pour le reste, il n’y avait que des morts théoriques : le nombre d’SDF en hiver, le nombre d’accidentés de la route depuis le passage au 80km/h, le nombre de morts de la grippe, quelques décès de stars très médiatisés… Des morts qui n’étaient pas exactement ce que nous sommes. Depuis que nous sommes enfermés à la maison sans sortir, les morts ont envahi les hôpitaux et les médias. Un énorme décompte s’est mis en place qui rend compte des malades, des urgences, des décès. Nous assistons passifs à ces chiffres qui nous tombent dessus et nous font peur. Nous voyons des images et des soignants épuisés. C’est peut-être un peu le but d’avoir peur mais le choc est grand entre avant et aujourd’hui. Une peur qui n’est accompagnée que de peu de paroles et que de peu de sens. (Michel Serres, tu nous manques! ) La peur ne peut pas prendre l’espace laissé par nos vies car sinon le virus gagnera ce qu’il n’aura pas tué.
Oui, il s’agit de faire face et de rester vivant. Il s’agit d’être suffisamment en forme pour que le virus s’épuise à notre rencontre, pour que, lui, prenne peur s’il nous trouve sur son chemin. Il s’agit qu’il soit mort de trouille à notre place !
À très bientôt
Bises
Marie-Laure

Cher Noé, cher Jonas (8)

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Cher Noé, cher Jonas

Retour du Shabbat. Shabbat shalom ! Pour vous, deuxième shabbat de ce temps de confinement. Le terme de shabbat est d’ailleurs très à propos aujourd’hui. Shabbat, cela signifie s’arrêter, cesser, interrompre, stopper l’activité, la transformation du monde. C’est exactement ce que fait une énorme partie de l’humanité en ce moment. Nous menions nos vies à toute allure, nous nous agitions dans tous les sens, nous jetions nos vies par la fenêtre quand quelque chose de petit et d’invisible est devenu central dans nos vies. Quelque chose de petit et d’invisible nous a arrêtés. Nous avons laissé en plan tout ce qui était urgent, indispensable, incontournable, nos démarches pro-actives, nos budgets prévisionnels, nos réunions hebdomadaires mais aussi nos querelles, nos rancoeurs, nos jalousies, nos campagnes, nos réformes sur la retraite ou le système de santé, l’avant-première du dernier film, le week-end en 8, les business plan et la réservation pour les vacances de Pâques et nous sommes rentrés à la maison. Depuis nous regardons le monde par la fenêtre en observant avec curiosité quand un être humain passe devant. Ce qui était urgent ne l’est plus. Ce qui était impossible devient envisageable. Ce minuscule virus a réussi ce qu’aucune idée avant lui n’était parvenu à faire. Ce virus nous a remis à notre place. Oui, c’est cela. On s’est fait remettre à notre place ! Et par un virus en plus ! On fait les malins, on croit que le monde est à nous, on pille tout ce qu’on trouve, on est les rois du monde et du pétrole, on rigole du futur et des degrés en plus et, un matin, on se réveille avec interdiction de sortie. Pour quelques semaines. Avec le recul de l’histoire, ce temps sera peut-être considéré comme le moment de la prise de conscience. Ce moment historique où la vie est devenue plus importante que l’économie.
L’humain est plus que lui-même mais il a la capacité d’être mis à terre par un virus, ou un déluge ou par quelques marins qui décident que vous êtes de trop à bord d’un bateau…Il reste à expérimenter ce que c’est que d’être à sa place, bien vivant, dans un monde qui n’est pas parfait mais qui est sur-mesure pour nous. Quelques semaines pour prendre toute sa place, rien que sa place.
Je vous embrasse,
Marie-Laure

P.S : Des nouvelles de Qohélet ?